Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 225

Le thème
procès suite à un vol de marchandise. Le Vénitien se considère lui aussi victime du vol et reçoit
le conseil de « plaider » (II, 252). Il prend un avocat dont la malhonnêteté a des conséquences
désastreuses :
« Dans le cours de la procédure Garnier m'envoya un maudit exploit qui me condamnait à
payer, et que j'ai d'abord porté à l'avocat, qui m'assura de noter appellation dans le même
jour, et qui n'en fit rien s'appropriant ainsi tous les frais que j'ai payés pour me réaldir. On
m'a soufflé les deux autres assignations d'ordre, et sans que je le sache on m'a décrété de
prise de corps par défaut de comparaître. On m'a arrêté à huit heures du matin dans la rue
S. Denis dans mon propre équipage, le chef des sbires s'étant assis à mon côté, tandis qu'un
autre sbire s'étant assis près du cocher l'obligea à me conduire à Fort-l'Évêque » (II, 253).
L'avocat garde pour lui l'argent qui devait servir à contester l'ordre de payer la somme réclamée : Casanova se retrouve en prison. Il n'y reste pas longtemps et décide de se retourner contre
l'avocat malhonnête. Le voici engagé dans deux procès simultanés, pris dans une temporalité
judi-ciaire vite ressentie comme une contrainte insupportable : « mon emprisonnement quoique de
peu d'heures me dégoûta de Paris, et me fit concevoir une haine invincible contre tous les procès
que je conserve encore. Je me voyais engagé dans deux, un contre Garnier, l'autre au criminel
contre l'avocat. Le chagrin me rongeait l'âme toutes les fois que je devais solliciter, dépenser mon
argent chez des avocats, et perdre mon temps qui ne me semblait bien employé qu'à me procurer
des plaisirs » (II, 257). Incompatible avec le savoir-vivre libertin13, la vie selon le rythme judiciaire
atrophie l'existence. Voilà qui invite à un nouveau départ : Casanova vend tous ses biens et quitte
la France.
On pourrait développer d'autres exemples, les associer à d'autres villes, à d'autres pays.
Quelques mots suffiront pour donner une idée du caractère systématique de l'ironisation du
judiciaire tout au long de l'Histoire de ma vie. Séjournant dans le duché de Wurtemberg, Casanova est drogué par trois officiers qui lui font perdre, sur sa parole, une somme importante aux
cartes. L'affaire donne lieu à un procès : Casanova veut être reconnu comme victime d'une
escroquerie, les officiers recevoir leur argent. Le Vénitien, en mauvaise posture, est à nouveau
arrêté : « empoisonné par un verre de vin, triché, volé je me trouvais privé de ma liberté et
dans la crainte d'être condamné à payer cent mille francs pour lesquels j'aurais dû me laisser
mettre en chemise » (II, 341). L'avocat de Casanova le prévient qu'il n'a aucune chance de
s'en sortir : « la sentence du juge de police, me dit-il, sera sommaire, car vous, étant étranger,
vous ne pouvez pas prétendre de mettre votre affaire dans l'ordinaire de la chicane ». Face à
la justice vénitienne, Casanova souffrait de n'être pas bien né ; dans le duché de Wurtenberg,
il ne peut espérer se défendre parce qu'il n'est qu'un étranger : des causes différentes produisent le même effet, entraînent une même vulnérabilité. Ses effets seront donc saisis et, s'ils
ne suffisent pas à payer ses dettes, il sera enrôlé de force dans l'armée. Pour éviter le désastre,
Casanova n'a plus qu'une solution : fuir encore. Trois ans plus tard, à Lyon, la corruption
lui permet une nouvelle fois d'échapper à une situation judiciaire périlleuse : Passano, qui le
déteste, est en mesure de le faire accuser d'escroquerie à l'encontre de la richissime marquise
13. Selon l'expression de Michel Delon, Le Savoir-vivre libertin, Paris, Hachette, 2000.

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