Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 324

Variétés
Les magistrats sont légitimistes : Joseph de Maistre est convaincu que le système juridique et
judiciaire de Turin qu'il sert - évidemment perfectible - est le meilleur possible. Il le soutient en
1774 dans son Éloge de Victor-Amédée III et l'argumente en 1793 dans ses troisième et quatrième
Lettres d'un royaliste savoisien à ses compatriotes22. Il le réaffirmera avec conviction en 1814 et 181523.
Pour satisfaire à l'usage et aux obligations des Royales Constitutions24, le substitut puis le sénateur de Maistre, en 1777 et en 1784, prononce la mercuriale de l'audience solennelle de rentrée qu'il consacre à « la vertu »25 puis au « caractère extérieur du magistrat »26. Dans ces textes,
comme avait pu déjà le faire avant lui en 1646, René Favre de la Valbonne dans « Le bien public
pour le fait de la justice »27, mais sans références religieuses, Joseph de Maistre exprime publiquement
les obligations éthiques et déontologiques qui s'imposent aux juges et aux membres du parquet
pour mériter la confiance du public et de l'opinion.
On a pu considérer que ces discours relevaient du « genre épidictique de philosophie morale
et non du genre judiciaire »28. Il est vrai qu'en termes prudents et protocolaires ils dénoncent des
défauts bien réels du Sénat de Savoie29, critiquent sévèrement sans les nommer les magistrats à la
mode, mondains, intrigants ou licencieux30.
Mais ces observations exposent également les devoirs, les vertus que l'on est en droit d'attendre
d'un magistrat : probité, intégrité, dignité, conscience, indépendance, caractère, humanité, discernement, prudence et réserve, méfiance à l'égard de l'opinion publique. Ces règles éthiques
fondamentales, longtemps non écrites, ne seront formalisées qu'en... 1985 par les Nations Unies
et, dans notre pays seulement en 2010, par le Conseil Supérieur de la Magistrature, en application
d'une loi du 5 mars 2007.
Les deux mercuriales de Joseph de Maistre ne font aucune référence aux principes divins ni aux
jurisconsultes français (Domat, Lamoignon, d'Aguesseau...) pourtant systématiques à l'époque31.
Faut-il y voir l'application de l'interdiction légale faite aux magistrats sabaudo-sardes par les
Royales Constitutions de 1770 (titre XXII, livre III, article 15) de se référer dans leurs décisions
aux « docteurs en matière légale » c'est-à-dire à la « communis opinio » ? Avec l'obligation de
s'en tenir aux Constitutions, aux statuts locaux, à la jurisprudence et au droit sarde ? On peut en
douter car son ami le substitut Roze dans son discours prononcé le 1er décembre 1779 (« La culture
de l'esprit ou la science de l'état ») cite de Harlay, de l'Hôpital et D'Aguesseau32. Cette absence de références aux grands magistrats français, s'explique vraisemblablement par l'hostilité que Joseph de
22.  Éloge de Victor - Amédée III, éd. 1775, p. 45, 51 ; OC VII. 145 à 151 et 202 à 215.
23.  Corr. p. 1026, 1152.
24.  Royales Constitutions 1770, Livre II, Titre III, ch. IV, article 4.
25.  Dans F. Descostes, Joseph de Maistre orateur, éd. 1896, p. 13 à 27.
26.  OC VII. 1996, 9 à 34.
27.  René Favre de la Valbonne, Le bien public pour le fait de la justice, réédition de 1867.
28.  J.-L. Darcel, REM n° 12, 1996, p. 63.
29.  G. Pérouse, « État de la Savoie à la fin du XVIIe siècle, 1679-1713 ; documents inédits recueillis aux archives d'État de Turin »
dans Mémoires et documents de la SSHA 1926, tome LXIII, p. 1 à 14.
30.  Discours de 1777 dans Fr. Descostes, J. de M., orateur, p. 20 ; discours de 1784 dans OC VII.29-30.
31.  M.-Fr. Renoux-Zagamé, Du droit de Dieu au droit de l'Homme, PUF, 2003, et J. Cl. Farcy, Magistrats en majesté ; les discours de rentrée aux
audiences solennelles, CNRS éditions, 1998.
32.  Discours de Gaspard Roze du 1er décembre 1779, copie manuscrite donnée à l'auteur par Jean Louis Darcel.

322

Droit & Littérature - Numéro 4

Livre_D&L4.indb 322

17/06/2020 17:31:29
Revue Droit & Littérature - N°4-2020

Table des matières de la publication Revue Droit & Littérature - N°4-2020
