Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 345

Variétés
L'ancêtre avoue tout cela à sa descendance, avant de mourir47. Là-dessus l'avocat général veut
démissionner, mais seulement après avoir siégé dans l'affaire du poseur de bombes, parce qu'il
compte bien exposer en public les turpitudes de feu son grand-père. Deux magistrats de haut
rang tentent de l'en dissuader, précisément pour éviter un éclat qui rejaillirait sur tout le corps48.
La pièce se termine sans que l'on sache ce qui se passe à cet égard, mais cela importe peu. Il
reste que l'on comprend mal comment cette famille et cette pièce sont données en exemple par
Rousselet.
Avant d'aborder Balzac, Rousselet nous entretient d'une pièce qui ne remonte qu'à quelques
années avant la publication de son ouvrage. Il s'agit de La Tête des autres, de Marcel Aymé (1952)
(p. 401-402). À l'époque on guillotinait encore, ce qui explique le titre de l'œuvre. On y voit des
familles de magistrats se réjouir lorsqu'un des leurs obtient une condamnation à mort. Et l'intrigue
est hautement invraisemblable. Mais surtout les magistrats mis en scène sont indignes. Cela dit,
la charge est tellement énorme que l'on ne peut la prendre au sérieux. Si la pièce a eu du succès,
c'est parce que, malgré tout, elle est drôle et aussi parce que le spectateur moyen n'aime guère la
justice.
Arrivons-en à Balzac49, à qui l'auteur a réservé une place spéciale. Rousselet, qui relève que
l'auteur a mis en scène cinquante-huit magistrats50 sur les deux mille personnages que compte La
Comédie humaine (p. 403-404), souligne à juste titre la position de principe, très favorable, du romancier envers la magistrature (p. 403) : « se défier de la magistrature est un commencement de
dissolution sociale. Détruisez l'institution, reconstruisez-la sur d'autres bases ; demandez, comme
avant la Révolution, d'immenses garanties de fortune à la magistrature ; mais croyez-y ; n'en
faites pas l'image de la société pour y insulter »51. Et aussi : « plus le magistrat est vieux, cassé,
blanchi, plus solennel est d'ailleurs l'exercice de son sacerdoce qui veut une étude si profonde des
hommes et des choses, qui sacrifie le cœur et l'endurcit à la tutelle d'intérêts palpitants »52. En
ce qui concerne plus précisément le parquet, il le qualifie de « défenseur légal des veuves et des
orphelins »53.
Le problème, c'est que, pour avoir une magistrature de grande qualité, il faut des hommes de
grande valeur. Réaliste, Balzac écrit ceci : « Si le juge avait le pouvoir de lire dans la conscience et
de démêler les motifs afin de rendre d'équitables arrêts, chaque juge serait un grand homme. La
France a besoin d'environ six mille juges ; aucune génération n'a six mille grands hommes à son
service, à plus forte raison ne peut-elle les trouver pour sa magistra-ture. »54. Il est d'ailleurs significatif que, chez Balzac, malgré la haute opinion qu'il a de la magistrature, ce sont des innocents qui
sont condamnés, tandis que les coupables bénéficient d'un non-lieu ou ne sont pas poursuivis55.
47.  Acte II, scène XVI. L'ancêtre se justifie (enfin, c'est ce qu'il croit) : « Je suis un soldat de la société ».
48.  Acte III, scène I.
49.  Les références à La Comédie humaine sont données par rapport à l'édition Houssiaux de 1877.
50.  Rousselet n'a pas étudié le cas de chacun d'entre eux et nous ne le ferons pas davantage.
51.  Splendeurs et misères des courtisanes, 3e partie, p. 21.
52.  César Birotteau, p. 442.
53.  Illusions perdues, p. 452.
54.  L'Interdiction, p. 133.
55.  V. Félicien Marceau, Balzac et son monde (1955), p. 422 à 428.

Droit & Littérature - Numéro 4

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