Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 458

Recensions - Par-delà les frontières
dédoublement, dans cette dualité) capable de questionner un sujet juridique abstrait représenté par des
lois et une morale positive. Ce sujet juridique abstrait
intervient violemment dans la vie du sujet littéraire
jusqu'à en devenir l'objet principal de la narration. Si
ce sujet juridique abstrait n'était pas présent en tant
que force oppressive, incarnée, mais essentiellement
invisible dans son fondement, qui pourrait faire l'objet de questionnement exigeant des réponses, alors,
le sujet littéraire n'aurait aucun sens, du moins dans
une construction juridique-littéraire, où, quant à moi,
l'antagonie potentielle de ces deux sujets forge le caractère, la force et le sens du récit.

l'absence d'un discours politique complet. Si la littérature aborde l'objet de son travail sans ambiguïté et
de manière libre, le pouvoir politique positif se manifeste toutefois comme une expression de force basée
sur des mandats peu expressifs et, bien entendu, non
inclus dans un discours narratif particulier. Le juridique intéresse la Littérature parce qu'il n'y a pas de
Littérature dans le politique, il n'y a pas de Littérature
officielle expliquant le politique si ce n'est le discours
résultant d'un exercice de propagande plus large ou
le résultat d'une philosophie politique et de Droit
naturel condescendant, et souvent suspicieusement
advenues et pleinement conformes avec le Pouvoir
Au sujet de littérature et de narrative latino-- institué. La Politique officielle se méfie, car il est trop
américaines, l'auteur révèle son objectif : tenter de dangereux, de constituer une Littérature positive caconclure sur « quelque chose de plus déterminé » pable d'un discours narratif soutenant, aux yeux de
que « l'énorme et tragique disjonction entre le privé tous, la légitimité du Pouvoir institué. La narrative poet le public, bien qu'il serait très envisageable d'en litique se limite à la communication de programmes
extrapoler un ordre juridique -public nouveau » politiques, à la simple communication des mandats
(p. 133). Parce que si on peut concevoir dans « le positifs ou à l'affirmation autoritaire de la justice et de
ventre enfantant de la narrative » (p. 133) l'annon- la justesse de ces derniers. Le vide normatif--existentiel
ciation d'un autre Droit, on verrait alors dans le phé- des mandats politiques (c'est-à-dire leurs lois ponomène littéraire concerné par le Droit (iuslittéraire) sitives), nés orphelins de toute narrative, orphelins
l'existence d'un mouvement perpétuel, résultat d'un d'un discours dans lequel les intégrer, offre une viquestionnement et d'une liberté de pensée autopro- sion du pouvoir chaotique et arbitraire et réveille la
clamée comme une effigie du penseur connu comme fougue, cette fois, de la iuslittérature qui comble le
intellectuel ou littéraire à la recherche « plein d'espoir vide en partant de l'individu et en construisant (sans
de cet autre Droit qui appartient à la Vie » (p. 134), et reconstruire) le Droit positif (et ne cherchant pas à
de la confrontation dialectique entre le privé et le pu- re-construire un nouveau Droit, puisqu'il n'est pas
blic qui semble accorder à cette narrative une dimen- encore construit de manière narrative). Cependant, si
sion politique ou sociale, mais en même temps une une Littérature politico-civique était créée, elle aurait
dimension humaine, car individuelle, parce que per- tout de même l'avantage d'envisager une narrative
sonnelle, parce que ancrée et née d'un malheur vécu plus large que la Littérature sur le politiquement corindividuellement qui nous pousse à nous demander rect, qui serait nécessairement limitée au domaine
si le contrepoids d'un quelconque discours poli- du général et de l'abstrait conventionnel, étant plus
tique officiel émanant du pouvoir, porteur de la res typique de la propagande et des discours d'adhépublica, devrait être modéré et validé par l'exercice sion politique. Ainsi, nous pourrions distinguer une
narratif des malheurs réels (ou même anticipés dans sous-catégorie, voire même une catégorie distincte,
l'imaginaire) et concrets, vécus personnellement, qui qui aurait pour nom, par exemple, Littérature politiprovoque ou peut provoquer la proclamation, la po- co-civique et qui serait destinée à parler de la polis
sitivassion et l'exécution des pouvoirs institués (poli- sans limite. La iuslittérature représenterait cette Littiques, sociaux, médiales, etc.). La littérature en tant térature destinée à tout considérer sans exception ;
que contre-pouvoir plus complet et plus efficace : La vie, l'Homme, le Monde quand il s'agit de narrer
« La littérature est rarement synchronique de la po- le ius. L'ouvrage de Calvo offre un autre exemple :
litique, mais elle va à la rencontre de la politique et « À l'engagement intellectuel et au risque politique
la dépasse souvent » (p. 137). L'exercice iuslittéraire de raconter le raconter de ceux qui ne racontent pas, si
trouve sa raison d'être et de naître dans le fait de peu souvent fait et assumé, Coetzee prend le risque

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Droit & Littérature - Numéro 4

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