Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 80

Le thème
européens. Ce récit a indéniablement gagné en centralité au cours des dernières années, à l'instar du
récit de l'Europe plurielle, qui accompagne certes la construction européenne depuis ses origines mais
dont la centralité a été favorisée par le thème de l'identité constitutionnelle. À plusieurs reprises en effet,
la Cour a fait droit à des revendications brandies sous ce vocable27, un avocat général allant jusqu'à
considérer que le devoir de l'Union européenne de respecter « l'identité constitutionnelle des États
membres (...) s'impose à elle depuis l'origine. Il participe, en effet, de l'essence même du projet européen initié au début des années 1950, qui consiste à avancer sur la voie de l'intégration tout en préservant l'existence politique des États »28. En dépit de cette montée en puissance toutefois, ce narratif
continue de se décliner en mode mineur dans la jurisprudence. L'expression de la diversité est, dans la
plupart des cas, présentée sous le mode de l'exception : la restriction qu'elle impose à la libre circulation
doit être strictement proportionnée (Cassis de Dijon29) ; la générosité particulière qu'elle commande dans
le domaine des droits de l'homme est cadenassée par la triple exigence de respect de la primauté, de
l'effectivité et de l'uniformité du droit de l'Union (Melloni30) ; l'autonomie procédurale et institutionnelle
qu'elle sous-tend est encadrée par les principes d'équivalence et d'effectivité (Palmisani31). Ce mode mineur s'explique par le fait que le récit de l'Europe plurielle concurrence d'autres récits majeurs ; celui
de l'Europe, communauté de droit32 ou encore le récit de l'Europe intégrationniste33.
Pourraient encore être cités, à titre d'exemple, le récit de L'Europe sociale ou celui de -l'Europe verte,
qui ne sont ni l'un ni l'autre des récits judiciaires fondateurs de l'Europe mais qui, bien -qu'encore
marginaux dans la jurisprudence de la Cour, semblent néanmoins constituer des narratifs en croissance. Le fait que l'un se soit largement construit en réaction au récit de l'Europe marchande (pour
ce qui est de l'Europe sociale)34 et que l'autre fasse obstacle au développement de ce même récit
(l'Europe verte) explique sans doute leur place encore accessoire dans la jurisprudence de la Cour.
La liste des récits jusqu'ici identifiés n'est évidemment pas exhaustive. De plus, l'existence même
de certains récits - à l'instar de celui de l'Europe territoriale - a posé question35. Ces interrogations
sur l'identification des récits, sur leur existence voire sur l'inexistence de certains d'entre eux36 ont
permis de tirer une première série de conclusions.

27.  Arrêt du 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, C-208/09, EU:C:2010:806 ; arrêt du 12 mai 2011, M. Runevic-Vardyn, C-391/09,
EU:C:2011:291, pt. 86 ; arrêt du 12 juin 2014, Digibet, C-156/13, EU:C:2014:1756, pt. 34 ; arrêt du 2 juin 2016, Bogendorff, C-438/14,
EU:C:2016:401 ; arrêt du 21 décembre 2016, Remondis, C-51/15, EU:C:2016:401.
28.  Arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki, C-213/07, EU:C:2008:731, pt. 31.
29.  Arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral AG, C-120/78, EU:C:1979:42.
30.  Arrêt du 26 février 2013, Melloni, C-399/11, EU:C:2013:107.
31.  Arrêt du 10 juillet 1997, C-261/95, Palmisani, EU:C:1997:351.
32.  H. Canihac, « De la « communauté de droit » à « l'Europe plurielle » ? La coproduction du récit pluraliste de l'Union européenne
depuis les années 1990 », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts et typologie, op. cit., pp. 105-123.
33.  E. Bernard, « Les récits judiciaires de l'Europe : distanciation, politisation, intégration », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts
et typologie, op. cit., pp. 229-246.
34.  Pour autant, le récit judiciaire de l'Europe sociale ne s'est pas construit exclusivement dans l'ombre du marché. Sur le plan institutionnel par exemple, le Tribunal n'a pas hésité à considérer qu'en l'absence du Parlement européen, l'intervention des partenaires
sociaux dans le processus d'élaboration normative en matière sociale était une exigence inhérente au principe de la démocratie sur
lequel l'Union est fondée, Arrêt du 17 juin 1998, UEAPME, T-135/96, EU:T:1998:128. V. A. Bailleux, op. cit.
35.  N. Rubio, « Peut-on identifier un récit judiciaire de l'Europe territorial ? », in Les récits judiciaires de l'Europe - Concepts et typologie,
op. cit., pp. 193-209.
36.  F. Berrod, « Le récit judiciaire de la frontière dans le marché intérieur : un non-dit pour un non-lieu », in Les récits judiciaires de
l'Europe - Concepts et typologie, op. cit., pp. 211-228.

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Droit & Littérature - Numéro 4

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17/06/2020 17:31:22
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