Contextes - Approches culturelles des savoirs juridiques - 17

	

Anne-sophie chambost	9

ils explicitent le sens de leur démarche, en envisagent la portée avec le
recul de quelques années, et indiquent quelques-uns des chantiers qui leur
semblent encore devoir être ouverts. C'est précisément cette dimension
exploratoire de la notion de culture juridique, à travers la diversité de ses
objets de recherche et des perspectives méthodologiques qu'elle mobilise, que nous avons placé au cœur de l'entreprise collective dont est issu
notre ouvrage Approches culturelles des savoirs juridiques. Elle se retrouve
en particulier dans les contributions d'Olivier Leclerc, Florence Renucci
et Laetitia Guerlain, réunies dans la première partie épistémologique du
présent volume. Il ne s'agit pas seulement pour nos collègues d'analyser
le droit comme un objet culturel, mais de souligner en quoi les approches
culturelles offrent un répertoire d'analyses puissant pour renouveler le
regard porté sur lui, à travers une diversité d'objets et de méthodes. À
partir de la manière dont l'histoire des sciences et des études sociales sur les
sciences situent culturellement et matériellement les activités de production
des connaissances scientifiques, O. Leclerc montre ainsi que si les savoirs
juridiques sont singuliers, ils ne constituent pas pour autant un domaine
de connaissance exceptionnel qui les ferait échapper aux types d'analyses
appliqués à d'autres savoirs scientifiques. F. Renucci reconsidère pour sa
part l'histoire de la rencontre entre la sociologie et le droit à partir du
terrain colonial, pour montrer que cette « sociologie juridique tournée vers
l'ailleurs » est partie intégrante de l'histoire de la sociologie et de celle du
droit, auxquelles elle doit être intégrée. Le choix du pluriel des savoirs juridiques est d'autant plus important ici que si le concept renvoie a priori aux
savoirs scientifiques sur le droit, il ne peut s'y limiter dans une perspective
culturelle ; il y a en effet aussi des savoirs profanes sur le droit, sur lesquels
L. Guerlain livre un riche état des lieux en insistant sur l'utilité de l'étude
des interactions entre les savoirs28. Dans cette « écologie de savoirs »29 basée
sur la diversité du monde du droit, partant sur la nécessaire identification
d'une pluralité de savoirs qui vont au-delà du savoir scientifique (lui-même
déjà pluriel), il faut porter attention aux interactions entre les savoirs scientifiques et non scientifiques. C'est à l'ensemble des savoirs portant sur le
droit et produits par lui auquel s'intéresse la culture juridique, qui offre
donc sur le sujet des perspectives cumulatives.

28. L. Friedman distingue la culture juridique externe (celle que l'ensemble des citoyens
portent sur les valeurs et attitudes vis-à‑vis du droit) de la culture juridique interne (celle
de l'ensemble des professionnels du droit). Voir N. Hakim, L. Guerlain, Littératures
populaires du droit, LGDJ, 2019.
29. « L'écologie des savoirs est fondée sur l'idée qu'il n'existe pas de connaissance ou
d'ignorance dans l'absolu. Toute ignorance est ignorance d'un savoir particulier, et toute
connaissance triomphe d'une ignorance particulière » ; B. de Sousa Santos, « Épistémologies
du Sud », trad. M. Watteaux, Études rurales, 2011, 187, pp. 21-50.
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