Contextes - Approches culturelles des savoirs juridiques - 216

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La culture juridique sous la révolution

Dans une rubrique explicitement intitulée « Jurisprudence » (en référence ici à la iuris prudentia), les auteurs de la Gazette répondent aux
questions que leur soumettent les lecteurs, très souvent des praticiens, en
faisant un point général sur l'état du droit positif. Ainsi, l'huissier Avulton
officiant à Levroux pose la question suivante en 1792 : « Dans la coutume
de Blois, en matière de successions, le lien double exclut le lien simple ; en
sorte que les neveux du double lien excluent de la succession de la tante,
les neveux du lien simple. On demande si cette exclusion ne se trouve pas
abolie par les nouvelles Lois ? ». Les rédacteurs expliquent alors que cette
exclusion est effectivement abolie par la loi du 15 avril 1791, et développent
les conséquences de ce changement de régime juridique52.
Ces consultations hebdomadaires ne sauraient toutefois suffire à
remplacer les traités et usuels qui font cruellement défaut sur le droit
nouveau. « Il est peut-être plus important qu'on ne pense », écrit ainsi
Jauffret dès 1791, « de répandre des lumières parmi ceux qui ont la charge
délicate d'appliquer les loix ; ou nous verrions en peu de temps, les loix
appliquées avec partialité, et l'odieux arbitraire faire des ravages irréparables. Il faut des livres ! [...] Il faut recommencer à de nouveaux frais,
tous ces livres élémentaires qu'un juge doit feuilleter sans cesse, et étudier
toujours »53. L'urgence est d'autant plus grande que la déprofessionnalisation du droit a fait entrer au Palais nombre de néophytes qu'il convient de
guider et d'instruire ; cependant, même les Hommes de loi ont besoin des
méditations et des éclairages de leurs confrères les plus savants. Jauffret en
appelle donc aux auteurs qui ont manifestement déserté la plume depuis
1789 : « Quelle est donc l'espèce de léthargie qui semble avoir frappé les
jurisconsultes ? Pourquoi ceux qui pourroient éclairer leurs concitoyens,
et rendre à l'ordre judiciaire le plus signalé service, restent-ils muets ? »54.
Le propos est clair : c'est aux juristes de se réapproprier l'explication et
l'ordonnancement du droit, le législateur ne pouvant répondre à toutes les
questions, ni surtout donner une vue d'ensemble du système né de la législation et de l'œuvre des tribunaux. En somme, il revient aux juristes de bâtir
une science juridique nouvelle, sur les assises de la loi et de la jurisprudence.
Jauffret appelle de ses vœux la parution de « livres élémentaires », autrement
52. Gazette des Tribunaux et Mémorial des corps administratifs et municipaux,
octobre 1792, p. 21 et suiv. Pour l'année 1795, le périodique contient notamment des
consultations relatives au divorce (p. 210), aux partages et donations (pp. 56, 347, 423),
aux successions et testaments (pp. 137, 269, 381) ou encore aux incapacités (p. 171).
53. L.-F. Jauffret, Gazette des nouveaux tribunaux, n° 27, 1791, p. 11 et suiv.
54. Id.

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