Contextes - Approches culturelles des savoirs juridiques - 303

	

Jacky hummel	295

les traditions locales constituent « des habitus avec lesquels il faut essayer de
composer et rompre à la fois dans le cadre de la transition ». Même devenus
désormais standardisés, les modèles ne conduisent pas à l'oblitération, voire
à la suppression des particularités nationales. En effet, dans la mesure où les
cultures constitutionnelles nationales cristallisent de nombreuses spécificités, un modèle ne se présente jamais comme une forme neutre et générique
propre à être dupliquée. Au contraire, il fait l'objet d'un long et complexe
travail d'appropriation et de concrétisation. D. Pollet-Panoussis26 observe
ainsi, à travers le cas congolais, que si la Constitution française de 1958 a
pu servir d'exemple en raison d'une « culture juridique commune entretenue par une communauté linguistique », il ne s'agit jamais d'un « simple
décalque ». Il existe toujours une adaptation du modèle importé aux conditions historiques, politiques et sociales, adaptation qui témoigne d'une
faculté du pays considéré à ne pas reproduire les faiblesses et lacunes de ce
référent. À cet égard, se traduisant surtout par des emprunts circonstanciés
et opportunistes, le processus de mimétisme ne saurait être celui d'une
imitation servile en ce qu'il s'inscrit, plus largement, dans un moment de
rupture ou de transition historiques qui engage de nombreuses considérations culturelles ou idéologiques27. À l'instar de la romanisation qui, loin
de s'imposer depuis le sommet du pouvoir impérial, a été un mouvement
d'acculturation marqué par les choix opérés par les élites provinciales pour
définir leur propre version de la culture romaine, la diffusion d'un modèle
mondialisé de la démocratie libérale donne lieu à diverses déclinaisons qui
traduisent les tentatives nationales d'épouser, d'adapter ce dernier ou, au
contraire, de lui résister.
Dans le cadre de l'Union européenne, si les constitutions nationales
autorisent un processus d'auto-limitation par lequel les États souverains
consentent à soumettre l'entreprise constituante à des modèles imposés,
elles ne sauraient autoriser une violation de leurs principes essentiels.
Malgré l'affirmation (déjà ancienne à présent) de la primauté du droit
communautaire sur le droit des États membres, y compris constitutionnel
26. « Le mimétisme constitutionnel africain : l'exemple congolais », in S. Segala et
S. Aromatario (dir.), Les modèles constitutionnels, Paris, L'Harmattan, 2016, pp. 183-184.
27. Voir, à cet égard, quant à la rédaction des préambules, C. Cadinot, Les préambules
des constitutions. Approche comparative, thèse de l'Université de Bordeaux, 2018, p. 252,
qui observe que « si la proclamation et l'attachement aux droits de l'homme, à la démocratie
ou à l'État de droit paraissent homogènes à travers les préambules, leurs causes ne le sont
pas forcément. Il suffit de songer aux préambules d'immédiate après-guerre en Europe et
ceux des États décolonisés dont la vertu exhortatoire n'est pas destinée aux mêmes finalités.
L'universalisme prôné dans les États décolonisés recèle même un intérêt stratégique face
aux anciennes métropoles. S'en réclamer constitue autant une condamnation du passé qu'un
engagement pour l'avenir ».
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