Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 163

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses liens

145

En revanche, l'inexactitude possible de cette présomption doit conduire à
pouvoir l'évaluer à l'aide de différents paramètres210 pour être en mesure de renverser cette présomption. Une certaine flexibilité dans la mise en œuvre de ces
présomptions semble donc souhaitable. En bref, l'autorité ayant à se prononcer
sur l'impartialité d'un arbitre lié à une personne intéressée par l'issue du litige doit
avoir conscience de l'approximation de ce type de présomption et ne pas hésiter à
se renseigner davantage sur la situation en cause211.
B. L'INCERTITUDE QUANT À L'EXHAUSTIVITÉ
DU LIEN
184. Les liens sont également équivoques et peu fiables lorsqu'ils ne reflètent
qu'un aspect plutôt superficiel de la relation entre deux personnes sans pour
autant renseigner sur l'existence ou pas d'autres aspects de cette relation. Par
exemple, le fait que deux personnes soient « amis » sur un réseau social ne permet
pas de deviner si cette amitié virtuelle cache une amitié réelle ou un lien professionnel212. En d'autres termes, nous ne sommes pas en mesure de savoir si ce lien
sur le réseau social épuise toute la relation entre ces deux personnes ou s'il ne
constitue qu'un aspect apparent d'une relation plus étroite213.
De la même manière, nous pouvons nous demander si un lien professionnel
exclut nécessairement l'existence d'un lien personnel. Autrement dit, il ne faut pas
nécessairement réduire un lien professionnel à un chiffre d'affaires. Il s'agirait
d'une approche réductrice de la richesse des liens professionnels procédant à une
séparation stricte et probablement irréaliste entre vie privée et vie publique ou
professionnelle. En effet, le choix de travailler avec une personne plutôt qu'avec
une autre obéit assez souvent à des considérations personnelles.
Par ailleurs, un lien « intellectuel » pourrait également cacher des intérêts
plus matériels ou une relation personnelle.
210. Comme la distinction des liens choisis ou actifs (c'est le cas de deux avocats ayant décidé de
fonder ensemble un cabinet d'avocats) des liens subis ou passifs (c'est le cas notamment d'avocats
travaillant dans une grande structure sans qu'ils n'aient choisi de travailler ensemble).
211. Nous retrouvons cette approche dans l'expression élégante d'un tribunal bruxellois
(Trib. fam. Bruxelles (3e ch.), 2 oct. 2015, V. et V. c. V, préc.) formulée concernant une question de
tutoiement : « [S]'il est important que la Justice paraisse impartiale, il est plus important encore
qu'elle le soit réellement, et alors que la sagesse la plus élémentaire commande de ne pas s'arrêter aux
apparences ».
212. En ce sens, V. Trib. féd. suisse, 14 mai 2018, A. c. B. et C., préc., cons. 4.5 : Si le « terme
d'"ami" employé pour désigner les personnes qui acceptent d'entrer en contact sur Facebook [...] peut
désigner des proches avec qui l'on entretient régulièrement des relations dans la vie réelle, il peut aussi
viser des personnes avec lesquelles les relations sont plus détachées et que l'on qualifierait de simples
connaissances dans la vie réelle, voire des individus avec lesquels on ne partage qu'un intérêt commun
pour un domaine particulier et uniquement sur le réseau social ».
213. En ce sens, V. S. Bollée, « Indépendance de l'arbitre et non-révélation de circonstances
ambivalentes, note sous Cass. civ. 1re, 25 juin 2014 », préc. : « Dans certains cas, les circonstances
invoquées pour contester l'indépendance de l'arbitre sont univoques : elles parlent d'elles-mêmes et il
n'est aucun doute quant à la nature et l'étendue de ce dont elles témoignent. Dans d'autres cas, on est
confronté à des circonstances équivoques : d'elles-mêmes ressort déjà un certain lien, en soi non
suffisant pour fonder l'annulation de la sentence, mais elles portent surtout à suspecter l'existence
d'autres liens qui, eux, pourraient être plus sérieux. Il s'agit, en somme, de la pointe émergée d'un
iceberg dont les dimensions exactes ne sont pas connues. Pour prendre une autre image, la difficulté
est alors comparable à celle que peut éprouver un médecin, à la vue d'un symptôme qui peut tout aussi
bien n'avoir aucune signification profonde qu'être celui d'une pathologie grave ».

978-2-275-07838-0__DOCFILE__978-2-275-07838-0_corpus.indd 145

30/06/2020 10:55:20

Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre