Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 173

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses liens

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Selon cette approche - qui n'est pas exempte de critiques -, il y aurait des
métiers qui prédisposeraient à l'impartialité plus que d'autres. Ainsi, certains
semblent tentés de considérer qu'un arbitre, qui aurait exercé pendant des décennies le métier de juge professionnel, serait par nature plus impartial qu'un avocat
dont le travail quotidien consiste à défendre un point de vue243 (et donc à être
partial) ou qu'un fonctionnaire habitué à être soumis à une hiérarchie.
Quant aux universitaires, ils bénéficient assez souvent d'une image de respectabilité, d'objectivité et, parfois, de désintéressement244, notamment du fait de
leurs revenus réguliers d'origine publique245. Ils sont donc parfois perçus comme
étant plutôt indépendants des milieux des affaires et, de manière générale, plus
indépendants d'esprit.
Le souci de cette approche réside dans sa généralisation. En effet, il n'a pas
été encore établi que la noblesse du métier garantit l'intégrité de la personne
l'exerçant. Il ne faut pas oublier que l'impartialité est relative en ce sens qu'une
personne peut être impartiale concernant certains sujets ou personnes et partiale
concernant d'autres. Un juge, employé pendant des décennies par l'État, pourrait
être tenté de favoriser celui-ci.
De plus, il ne semble pas illégitime de craindre qu'un juge professionnel,
n'ayant évolué que dans un cadre national, ait moins d'ouverture d'esprit qu'une
personne ayant évolué dans un environnement international (si, bien entendu,
l'arbitrage en cause est international).
Par ailleurs, rien n'empêche qu'un juge à la retraite intègre, après quelques
mois ou années de pratique, les conceptions moins exigeantes d'impartialité des
coarbitres246. L'actualité récente vient conforter ce sentiment de scepticisme,
puisque l'arbitre accusé de partialité dans l'affaire Tapie était un ancien juge chevronné247. De la même manière, les faibles salaires des universitaires (ce qui est le
243. Rappr. J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, op. cit., n° 522, p. 355 : « Avocat et arbitre jouent
des rôles en effet radicalement différents. Un avocat, bien qu'indépendant, est par essence "partial",
épousant la cause de la partie qu'il assiste [...]. Un avocat devenant arbitre doit donc adapter ses
représentations mentales - son état d'esprit - aux changements que son rôle implique ».
Comp. CA Bruxelles (17e ch.), 29 oct. 2007, République de Pologne c. Eureko BV et a., Petites
affiches 25 mars 2008, n° 60, p. 15, note T. Kaissi ; Gaz. Pal. 29 mars 2008, n° 89, p. 53, obs. B. Hanotiau
qui déclare qu'en « tant qu'arbitre, M. S. a sa propre intégrité professionnelle qui, lorsqu'il est arbitre,
peut être considérée comme plus importante que les sensibilités et les buts qu'il poursuit en tant
qu'avocat ».
244. Un arrêt de la Cour d'appel de Douai (cassé par Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, Marcel Batard
et autre c. Société Prodim et autre, préc.) faisait référence « à la position personnelle de l'arbitre,
professeur à l'université et avocat » qui « ne laissait entrevoir qu'il se soit trouvé exposé à un risque de
sujétion ou de subordination ».
245. Trib. féd. suisse, 29 oct. 2010, Alejandro Valverde Belmonte c. Comitato olimpico nationale
italiano (CONI), Agence mondiale antidopage (AMA) et Union cycliste internationale (UCI), préc.,
cons. 3.4.4. : la « situation d'Ulrich Haas, qui exerce à plein temps la profession rémunérée d'enseignant
universitaire, n'est pas comparable à celle d'un avocat tirant ses revenus des honoraires perçus de ses
clients ». Ce raisonnement convaincant dans le contexte suisse l'est moins concernant les pays où les
enseignants universitaires sont faiblement rémunérés.
246. Sur l'impartialité atténuée du coarbitre, V. Deuxième Partie, Chapitre I.
247. Pour l'établissement de sa partialité, V. CA Paris, 17 févr. 2015, Sté CDR créances c. Tapie
et autres, préc. Niant cette partialité, l'arbitre concerné a formé une tierce opposition contre cet arrêt,
mais celle-ci a été rejetée : CA Paris, 27 sept. 2016, Pierre Estoup, n° 15/19083. Il est à noter qu'un des
deux arbitres n'ayant pas pu détecter la partialité de cet ancien juge est un auteur ayant rédigé plusieurs
écrits sur l'indépendance du juge et de l'arbitre.

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