Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 199

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses opinions préalables

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Pour résumer, il est presque impossible pour l'arbitre de ne pas appréhender
le litige à partir de son vécu et de son expérience45. On ne peut donc raisonnablement s'attendre à ce qu'il le fasse. Il faut avoir conscience que le principe d'impartialité ne promet pas un arbitre parfait à l'esprit totalement libre et qui serait
détaché du monde dans lequel il vit46.
B. ÉLÉMENTS DE DROIT PROSPECTIF :
TOLÉRANCE ET BON SENS
228. Principe de tolérance des penchants. À la lumière de ce qui précède, la tolérance des penchants de l'arbitre semble inéluctable bien qu'ils pèsent probablement
plus lourd, au regard de la solution du litige, que de nombreux supposés risques de
partialité auxquels les droits étatiques font pourtant la chasse. Faut-il pour autant le
regretter ? La réponse nous paraît certainement négative concernant les arbitres choisis par les parties. Après tout, le penchant de l'arbitre est une sorte de prédisposition
naturelle. Que le coarbitre soit prédisposé à l'égard de la partie qui l'a choisi (surtout
lorsque cette prédisposition est « involontaire » comme c'est le cas avec les penchants)
ne nous paraît pas répréhensible comme il sera indiqué ultérieurement47.
229. Le besoin de bon sens dans le choix des arbitres, comme correctif au principe de tolérance. S'il nous semble opportun de ne pas appréhender les penchants
de l'arbitre à travers le prisme des risques de partialité, cela ne veut pas dire que le
concept de penchant n'est pas pertinent en matière d'impartialité et de choix des
arbitres. Comme il a déjà été dit, les penchants peuvent être décisifs dans l'élaboration de la solution du litige. C'est notamment le cas lorsque les arbitres d
- isposent
d'une liberté considérable (du fait de la faiblesse des contraintes normatives)
comme dans l'arbitrage d'investissement (dans lequel des arbitres sont considérés
celles-ci. L'objectivité n'a pas pour but de couper le juge de son environnement [ou] de débarrasser un
juge de son passé, son éducation, son expérience, ses croyances ou ses valeurs. Son objectif est
d'encourager le juge à mettre à profit toutes ces caractéristiques personnelles de façon à refléter les
valeurs fondamentales de la société le plus fidèlement possible. Une personne nommée juge n'est ni
obligée ni en mesure de changer de peau ».
Les auteurs combattant, à raison, une vision trop ambitieuse de l'impartialité multiplient les
formules élégantes pour insister sur un aspect du juge souvent ignoré des juristes : sa nature humaine.
Ainsi, un auteur explique que « la justice est humaine et tout juge transporte avec lui un vécu antérieur
qui influe sur son jugement par des a priori le plus souvent inconscients. Il est extrêmement difficile,
voire impossible, de supprimer ces éléments de subjectivité inhérents à tout jugement [...] » (P. Crocq,
« Le droit à un tribunal impartial », préc., p. 498).
En réalité, pour être impartial comme le souhaiteraient certains, il faudrait pouvoir faire table rase
du passé. On remarquera enfin que l'importance de cette dimension humaine de la justice est souvent
avancée comme un argument en défaveur de l'utilisation des machines dans le domaine de l'arbitrage
(J.-B. Racine, « Arbitrage et intelligence artificielle », Rev. arb. 2019, p. 1025, spéc. p. 1053-1054).
45. Rappr. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé (t. 3) : Procédure de première instance,
Sirey, 1991, p. 99 : « Il est assez naturel que le juge ne néglige pas les enseignements de sa propre
expérience, surtout lorsqu'il a été choisi à cette fin ». Ces deux auteurs en concluent que le juge peut
utiliser à l'appui de sa décision « les informations de nature générale et abstraite résultant de sa
formation intellectuelle ou de son expérience ». V. aussi B. Hurel, « Impartialité et subjectivité »,
Délibérée 2018, p. 12 ; J. Faget, « L'acte de juger et ses biais », Délibérée 2018, p. 27.
46. En ce sens, V. Southern District of New York, 30 juin 2014, Zurich American Insurance
Company vs. Team Tankers A.S., préc. : « Under the FAA, an arbitrator is under no duty to disclose
medical conditions. There is no guarantee that an arbitrator is free from conditions which might affect his
abilities. Any number of matters - brain tumors, substance issues, marital problems, lack of sleep -
might affect an arbitrator's concentration or faculties. Parties are entitled to unbiased and uncorrupted
arbitrators (...) not perfect arbitrators ».
47. V. Deuxième Partie, Chapitre I, Section 2, § 2.

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