Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 210

192

L'IMPARTIALITÉ DE L'ARBITRE

légitimité93. Malgré les difficultés qu'il engendre en ce qui concerne la garantie de
l'impartialité totale des coarbitres94 et les remises en cause de ce droit95, celui-ci
résiste et demeure ouvert aux parties dans la très grande majorité des lois et règlements d'arbitrage. Or, chaque partie cherche logiquement à tirer un profit maximal de cette prérogative, notamment en nommant un arbitre naturellement
-prédisposé aux thèses qu'elle défend96.
Autrement dit, le choix d'un arbitre ayant exprimé une opinion préalable
particulière aura été probablement voulu par la partie97. Dès lors, nous pouvons
considérer que l'opinion préalable, qui est la conséquence directe du droit des
parties de nommer unilatéralement les arbitres, trouve sa légitimité dans ce droit98.
b) Légitimité du point de vue de l'arbitre : l'opinion préalable, comme produit
de sa liberté d'expression
246. Si nous envisageons l'opinion préalable du point de vue de l'arbitre, elle
semble constituer sinon un élément de sa personnalité, du moins le produit de sa
liberté d'expression99. Dès lors, l'arbitre, récusé du fait de son opinion, pourrait se
sentir discriminé, car il serait « sanctionné »100 - non pas à cause de son comportement dans l'instance laissant transparaître sa partialité ou du fait de ses liens
avec les parties -, mais du fait de l'exercice licite et raisonnable de son droit fondamental à s'exprimer librement.
En tout cas, si les arbitres s'abstiennent d'exprimer publiquement leurs opinions, cela n'empêchera pas qu'ils en aient et le problème de l'opinion préalable
demeurera. La situation serait d'ailleurs plus problématique du fait de l'absence
de transparence101.
93. En ce sens, V. M. Waibel, « Arbitrator Selection : Towards Greater State Control », préc.,
spéc. p. 334 : « To the disputing parties, their influence in choosing the arbitrators is one of arbitration's
main attractions vis-à-vis national courts and other forms of dispute resolution ».
94. Sur cette question, V. Deuxième Partie, Chapitre I.
95. V. not. J. Paulsson, The Idea of Arbitration, Oxford University Press, 2013, p. 153 et s.
96. En ce sens, V. M. Waibel, « Arbitrator Selection : Towards Greater State Control », préc.,
p. 344 : « The disputing parties seek to appoint individuals they expect to have some favourable
predisposition towards their case without rising to the level of challengeable conflict of interest ». V. aussi
M. N. Cleis, The Independence and Impartiality of ICSID Arbitrators, op. cit., p. 86. De cette manière,
le coarbitre, adhérant aux conceptions les plus strictes de l'impartialité, pourra néanmoins aider la
partie l'ayant nommé pour obtenir gain de cause. D'ailleurs, nous remarquons qu'en pratique, les
questions d'opinion préalable concernent très souvent le coarbitre.
97. Nous n'avons pas l'habitude d'opposer l'autonomie des parties à l'impartialité, mais la
réalité est que la première influence la seconde.
98. Comp. B. King, « Party Autonomy, the "Right" to Appoint, and the Rise of Strategic
Challenges », préc., p. 54 : « The foregoing illustrates that the ability of a party to nominate an arbitrator,
or otherwise to participate in the constitution of the tribunal, is at best a qualified right. Where other
important policy considerations are implicated - such as the imperatives of seating a fair and unbiased
tribunal, and treating the parties equally - then the right to appoint will yield ».
99. C'est cette dimension personnelle et inéluctable de l'adhésion de l'arbitre à certaines idées
et théories (juridiques et non juridiques) - et qui est présente concernant les opinions préalables,
mais dans une moindre mesure - qui nous pousse à ne pas voir dans ce que nous avons appelé les
« penchants » une atteinte à l'impartialité à l'égard du litige. Sur les penchants, V. supra
n° 224-229.
100. Bien entendu, il n'y a pas de droit à être arbitre et nous voyons mal comment l'arbitre
pourrait sanctionner juridiquement cette « discrimination », mais ce sur quoi nous voulons insister ici
est le sentiment de l'arbitre.
101. G. Griffith et D. Kalderimis, « "Pure" Issue Conflicts in Investment Treaty Arbitration »,
préc., p. 620 : « An approach to apparent bias which requires arbitrators to be reticent in expressing any

978-2-275-07838-0__DOCFILE__978-2-275-07838-0_corpus.indd 192

30/06/2020 10:55:24

Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre