Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 221

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses opinions préalables

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deviner si l'opinion de l'arbitre traduit une conviction profonde difficile à combattre
ou s'il s'agit simplement d'un point de vue passager facilement renversable143.
Le second aspect important que révèle l'analyse des termes de l'opinion de
l'arbitre sur la question qui lui est posée dans l'instance actuelle a une portée
beaucoup plus générale puisqu'elle permet d'avoir un éclairage sur l'aptitude personnelle de l'arbitre à réfléchir de manière critique et indépendante. En effet, les
termes et les propos que nous tenons, dans nos prises de position (c'est-à-dire
dans nos « jugements » au sens large du terme), sont révélateurs de notre personnalité et donc de notre aptitude à percevoir la réalité de manière précise et objective. Une personne qui a tendance à adopter une vision binaire des choses, à être
incapable de saisir les nuances, à être excessif, à généraliser des cas isolés, à
confondre simplicité et simplisme, aura probablement du mal à raisonner de
manière indépendante et se détacher de ses opinions préalables.
262.  Un critère de droit positif. Il n'est pas rare que la jurisprudence (étatique144
et arbitrale145) ait recours au critère de l'analyse des termes de l'opinion préalable
pour évaluer l'impartialité de l'arbitre. La doctrine s'y réfère également146.
143. La langue française -  mais c'est aussi le cas d'autres langues  - connaît des termes et des
tournures permettant de nuancer le propos. Du moment qu'une personne maîtrise une langue, il
semble justifié de prendre au sérieux son choix de certains termes plutôt que d'autres.
144. CA Paris, 5 juill. 1990, Sté Uni-Inter c. Sté Maillard, Rev. arb. 1991, p. 345, note B. Moreau :
la « qualité d'arbitre n'est pas incompatible avec un engagement dans un débat entre professionnels,
dès lors que les écrits produits ne permettent pas de mettre en doute l'impartialité de l'arbitre et que
les propos tenus ne manifestent ni véhémence excessive ni hostilité systématique propre à faire
présumer de la part de l'arbitre un préjugé à l'encontre de l'une des parties ».
V. également Trib.  féd.  suisse, 7  nov.  2006, Swiss International Air Lines AG  c. Swiss Pilots
Association, n° 4P.247/2006, ATF 133 I 89, cons. 3 : « Un arbitre est suspect de partialité lorsqu'avant
sa désignation, il s'est exprimé dans une revue spécialisée sur des questions juridiques en relation avec
celles du procès, si, au regard de la nature de sa prise de position, il s'est engagé d'une manière propre
à faire redouter objectivement qu'ayant adopté une opinion définitive, il n'examinera plus, dans la
cause, les questions concrètement déterminantes d'une façon ouverte et complète ».
Cela dit, il arrive que la jurisprudence prête moins attention à la subtilité des termes de l'opinion
préalable et préfère -  pour mieux garantir l'impartialité - faire bénéficier la partie plaignante du
doute sur l'impartialité de l'arbitre. En ce sens, V. CA Paris, 14 oct. 1993, Ben Nasser et autre c. BNP
et Crédit Lyonnais, RTD  com.  1994, p.  251, obs.  E. Loquin ; Rev.  arb.  1994, p.  380, note P. Bellet :
« Attendu qu'en ayant participé à l'élaboration de cette sentence, œuvre intellectuelle collective de
tous les arbitres - qu'il a d'ailleurs personnellement signée  - de laquelle il se déduit un principe de
responsabilité de la société Setec, même si le motif est présenté en une forme apparemment dubitative,
M. X., arbitre composant ce tribunal arbitral, a statué implicitement mais nécessairement sur le litige
actuel alors que la société Setec n'était page pas partie au premier arbitrage et que les arbitres
n'ignoraient pas la demande en garantie que la société Sicca entendait former » (nous soulignons).
145. CIRDI (membres du TA non récusés), 12 août 2010, Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas
Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa v. Argentine Republic, préc., § 50 : « The Two Members
have examined whether the opinions expressed by Prof. McLachlan should be viewed as being so strongly
argued that their author will not, in the view of a reasonable third party, give due consideration to the
position taken by a party in this proceeding » (nous soulignons).
V. aussi LCIA, 24 déc. 2014, n° 132498, § 45 : « It can hardly be disputed that bias or partiality
includes the circumstance where an arbitrator has prejudged an issue by expressing a firm and definitive
opinion on it » ; §  50 : « By expressing his view on the merits of the case in definitive terms without
contemplating the possibility that his view might change and by expressing that view prematurely outside
the mandate provided for the Preliminary Issues phase of the proceedings, the [Co-arbitrator] conveyed
the impression to an objective and informed observer that he had prejudged the merits of the counterclaims
at the jurisdictional phase, creating thereby an appearance of bias ».
146. S. Guinchard, C. Chainais, C. S.  Delicostopoulos, I. Delicostopoulos, M. DouchyOudot, F. Ferrand, X. Lagarde, V. Magnier, H. Ruiz Fabri, L. Sinopoli et J.-M. Sorel, Droit

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