Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 233

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses opinions préalables

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281.  Solutions nuancées en droit commun. Pour répondre à cette question, la
formation la plus solennelle de la Cour de cassation a eu recours à ce qui s'apparente au test de la profondeur de l'examen opéré par le juge lors du premier examen de la question. Prenant en compte les exigences de l'efficacité, la haute juridiction188 a estimé que le seul fait de prendre une mesure conservatoire n'empêche
pas ce même juge de statuer sur le fond de l'affaire. En revanche, « lorsqu'un juge
a statué en référé sur une demande tendant à l'attribution d'une provision en raison du caractère non sérieusement contestable d'une obligation, il ne peut ensuite
statuer sur le fond du litige afférent à cette obligation »189. Dans cette hypothèse,
la Cour de cassation semble considérer que l'examen du juge était trop profond,
qu'il s'est trop engagé de manière telle qu'un retour en arrière n'est plus possible
d'un point de vue psychologique (notamment du fait que la question tranchée par
la mesure provisoire était trop proche de celle à trancher dans l'instance au fond,
pour ne pas dire identique à elle). Par conséquent, il y aurait bel et bien opinion
préalable susceptible d'entraver la liberté d'esprit du juge190.
Quant à la CEDH, elle estime que c'est l'étendue des mesures adoptées par le
juge qui compte et que l'appréciation préliminaire des données disponibles ne
saurait être considérée comme préjugeant l'appréciation finale191.
282.  Particularités de la question en matière d'arbitrage. En matière d'arbitrage, il semble délicat de transposer cette jurisprudence telle quelle. En effet, il ne
semble pas excessif de présumer que les parties, en choisissant la voie de l'arbitrage, ont voulu concentrer leur contentieux devant un seul tribunal arbitral (du
moins du moment qu'il a été constitué)192. Cette considération milite pour plus de
188. Cass.  ass.  pl., 6  nov.  1998, Castel et Fromaget, n° 95-11006 : « [L]a circonstance qu'un
magistrat statue sur le fond d'une affaire dans laquelle il a pris préalablement une mesure conservatoire
n'implique pas une atteinte à l'exigence d'impartialité appréciée objectivement ». Plus récemment,
V. Cass. 2e civ., 24 janv. 2013, n° 12-01345 : « [L]a participation à la formation de jugement d'un juge
ayant rendu, dans la même affaire, une décision ne préjugeant pas le fond, ne méconnaît pas les
exigences de l'article 6 » CEDH.
Sur cette jurisprudence, V. C. Chainais, La protection juridictionnelle provisoire dans le procès
civil en droits français et italien, Dalloz, 2007, n° 675 et s.
189. Cass. ass. pl., 6 nov. 1998, Bord Na Mona, n° 94-17709.
190. Le Conseil d'État a un raisonnement similaire. En principe, l'office du juge des référés ne le
pousse pas à avoir un examen approfondi du dossier et donc ce juge pourra trancher le litige au fond.
Cela dit, si le juge des référés va au-delà de ce que lui demande son office et qu'il préjuge l'issue du
litige, il ne pourra plus connaître du fond de l'affaire. V. par ex. CE, 4 févr. 2008, préc.
Comp. l'article 828 du Code judiciaire belge qui prévoit que tout juge peut être récusé « (9°) si le
juge a donné conseil, plaidé ou écrit sur le différend ; s'il en a précédemment connu comme juge ou
comme arbitre, sauf si, au même degré de juridiction : 1. il a concouru à un jugement ou à une sentence
avant faire droit ».
191. CEDH (3e sect.), 9 nov. 2006, Sacilor Lormines c. France, préc., § 61 : « [...] le simple fait,
pour un juge, d'avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des
appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l'étendue des mesures adoptées par le
juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n'implique pas un
préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin,
l'appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant
l'appréciation finale » (nous soulignons).
V. déjà dans le même sens CEDH (3e sect.), 6 juin 2000, Morel c. France, n° 34130/96.
192. Rappr. G. Bolard, « Les mesures provisoires unilatérales ou "ordonnances préliminaires"
dans le projet CNUDCI », in J.-M. Jacquet et E. Jolivet (dir.), Les mesures provisoires dans l'arbitrage
commercial international : évolutions et innovations, Litec, 2007, p.  105, p.  111 : « En donnant aux
arbitres le pouvoir de les prononcer, les parties ont nécessairement admis que les mesures provisoires
ne ruineraient pas ipso facto l'impartialité de leur tribunal ». Cela dit, il convient de relever que les

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