Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 244

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L'IMPARTIALITÉ DE L'ARBITRE

possible, les mêmes arbitres ou le même président du tribunal arbitral238 pourraient
être nommés pour connaître des procédures parallèles239. Dans cette hypothèse, la
question se pose de savoir s'il est possible de considérer que l'arbitre ayant rendu
la sentence dans la première procédure peut toujours siéger dans la seconde malgré
son « opinion préalable » ? La réponse nous semble devoir être positive240 dès lors
que la première sentence ne laisse transparaître aucun risque de partialité (quant
aux parties) et que cette sentence s'est limitée à trancher les questions qui lui étaient
posées sans préjuger des questions propres à la seconde -procédure241. Il n'est pas
seulement question de faire prévaloir, dans l'abstrait, l'objectif de l'harmonie des
décisions sur celui de l'impartialité au motif que le premier serait plus important
que l'autre. Il faut prendre en considération une autre dimension. En effet, le risque
de contradiction entre les décisions rendues dans des procédures parallèles est
assez élevé, notamment lorsque des questions litigieuses dans les différentes procédures sont identiques. Il s'agit donc d'un risque souvent sérieux. Or, l'éventuel
risque de partialité (fondé sur l'opinion préalable) n'a pas la même intensité. Et
même à supposer que l'arbitre soit tenté de reproduire les solutions de la première
sentence, il se peut que - et c'est ce que nous pouvons espérer et présumer - les
solutions de la première sentence soient fondées juridiquement et donc dignes
d'être maintenues par la seconde sentence242.
291. Éléments de droit positif. Malgré le nombre relativement limité de décisions sur cette question243, une tendance favorable à nommer le même arbitre
238. Il est possible de parler, dans cette hypothèse, de « jonction de fait » (T. Granier, « La
jonction de procédures arbitrales dans le Règlement de la Chambre de commerce internationale »,
préc., p. 136). La CCI et la CIRDI ont eu recours à ce mécanisme (pour des exemples, V. p. 137).
239. Il en va autrement lorsque la volonté claire des parties de dissocier les contentieux
susceptibles de naître des différentes conventions est établie (CA Montpellier, 29 sept. 2016,
SA Système U Centrale régionale sud c. Alary, Rev. arb. 2017, p. 539, note V. Chantebout).
240. En ce sens, V. M. Henry, Le devoir d'indépendance de l'arbitre, op. cit., p. 346-353 : « [N]ous
croyons qu'un arbitre devrait pouvoir connaitre de litiges connexes dans des instances successives ou
parallèles, et ce afin d'éviter les risques de contradictions de décisions » (p. 352).
Sinon, pour des raisons d'équilibre au sein du tribunal arbitral (Sur cette question,
V. C. Reymond, « Des connaissances personnelles de l'arbitre à son information privilégiée : Réflexion
sur quelques arrêts récents », préc.), il est clairement préférable que l'arbitre commun soit le président
du tribunal arbitral et non pas un coarbitre. Les parties pourraient ainsi participer à la constitution du
tribunal arbitral en nommant les coarbitres. De son côté, le président du tribunal arbitral aurait la
responsabilité d'assurer la coordination des deux arbitrages parallèles.
241. Dans la seconde instance, l'arbitre devra garder l'esprit ouvert et éviter de reproduire
aveuglément le raisonnement de la sentence déjà rendue. C'est ce que rappelle une décision récente :
« The fact that cases have been placed before a common tribunal is not a license for the tribunal to treat
them as if they were a single case. The parties to each of the cases are entitled to a separate consideration
of the issues applicable to them » (CIRDI (comité ad hoc), 14 déc. 2018, Suez, Sociedad General de Aguas
de Barcelona S.A., and Interagua Servicios Integrales de Agua S.A. v. Argentine Republic, préc., § 135).
242. Cela dit, il y a souvent dans ce genre de situations un risque d'atteinte au principe du
contradictoire, car l'arbitre peut avoir accès, dans le cadre de la première procédure, à des informations
qu'il pourra utiliser dans la seconde procédure alors qu'elles ne sont pas dans le débat. Sur le problème
de la connaissance préalable d'un des éléments du litige, V. supra n° 220-223.
243. Il convient de mentionner un arrêt récent de la CEDH qui, bien que concernant une
sentence sur le quantum des dommages-intérêts complétant une sentence partielle sur la responsabilité
contractuelle (donc pas à proprement parler une « procédure parallèle »), a posé le critère général
suivant : « Pour qu'un préjugé ait pu se créer, il faut, d'une part, que l'arbitre mis en cause ait eu
successivement à connaître de faits identiques et, d'autre part, qu'il ait eu à répondre à la même
question ou, du moins, que l'écart entre les questions qu'il a eu à trancher ait été infime »
(CEDH (3e sect.), 2 oct. 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, préc., § 162). En l'occurrence, il a été jugé
que « bien que les faits générateurs de la cause soient les mêmes, les questions juridiques tranchées par

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