Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 285

L'impartialité atténuée du coarbitre

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Si l'on déduit de la pratique actuelle des opinions dissidentes une présomption de partialité des coarbitres les ayant rédigées, il n'empêche que les affaires
arbitrales dans lesquels un coarbitre rédige une opinion dissidente demeurent largement minoritaires. La question de savoir si les coarbitres n'ayant pas rédigé
d'opinions dissidentes sont impartiaux reste donc sans réponse38. Pour en trouver
une, il convient de se tourner vers les témoignages des praticiens.
B. LES TÉMOIGNAGES DES PRATICIENS ATTESTANT
DE LA PARTIALITÉ DES COARBITRES
333. Les arbitres, témoins principaux et directs de la partialité des coarbitres.
La partialité du coarbitre se manifeste principalement lors du délibéré. Les arbitres
sont donc les mieux placés pour détecter la partialité de leurs collègues39. Bien
qu'il s'agisse d'un sujet assez délicat, plusieurs arbitres se sont prononcés publiquement sur cette question. Il nous semble qu'une majorité des praticiens (appartenant à des cultures juridiques différentes) s'étant exprimés sur le sujet considèrent que l'impartialité absolue du coarbitre est plutôt un mythe.
Avant d'aborder les différents témoignages « contemporains », il convient de
noter que le phénomène de la partialité des coarbitres n'est pas nouveau. Il n'est
pas le produit de la « dégradation des mœurs arbitrales » de plus en plus dénoncée
ces dernières décennies40 mais semble lui préexister. Déjà en 1939, un fin connaisseur de la pratique de l'arbitrage (le secrétaire de la Cour d'arbitrage de la
CCI André Boissier) écrivait que « les arbitres choisis par les parties ne sont souvent que les avocats de ces dernières, leurs mandataires officieux »41. Deux décennies plus tard, la situation ne semble pas s'être améliorée. Ainsi, l'avocat général
Granjon écrivait en 1970 :
« [I]l est communément admis, à notre époque, que chacune des parties
désigne son conseil. Les arbitres peuvent alors être considérés comme les
représentants, les mandataires de leurs clients, et ils agissent au mieux de
leurs intérêts, transigeant avec le conseil adverse et s'en remettant, le cas
échéant, à un troisième arbitre, désigné cette fois, comme un super-arbitre,
considéré alors comme dégagé des intérêts de qui que ce soit, jouissant d'une
autorité d'où découlerait l'impartialité d'un véritable juge »42.
38. Nous pouvons imaginer que l'éventualité de rédiger une opinion dissidente soit utilisée, par
certains coarbitres, comme un moyen de pression sur les autres arbitres. Une fois les demandes de cet
arbitre prises en considération, ce coarbitre accepterait de rendre une sentence unanime.
De la même manière, nous pouvons imaginer l'hypothèse d'un coarbitre voulant maintenir une
bonne relation avec « sa » partie (ou même craignant celle-ci) qui agirait de manière impartiale lors du
délibéré, mais qui sentirait le besoin de signer une opinion dissidente pour les raisons précitées.
39. Les avocats entretenant des liens ex parte avec les coarbitres sont aussi bien placés pour
témoigner de la partialité de ces derniers.
40. Parmi les premières dénonciations (à notre connaissance), V. P. Fouchard, « Où va
I'arbitrage international ? », McGill Law Journal 1988, p. 435.
41. A. Boissier, « L'arbitrage commercial international », Économie internationale (Publication
de la CCI) avr. 1939, p. 67, spéc. p. 71. Il ajoute ensuite que la « décision appartiendra donc au tiers
arbitre et tout se passera comme si celui-ci était l'arbitre unique ». V. également l'exposé de l'arbitre
italien Minoli reproduit dans : F. Eisemann, « Indépendance de l'arbitre », préc., p. 221 : « Les arbitres
doivent certainement être impartiaux, qu'ils soient nommés par l'une des parties, ou par les parties
d'accord entre elles, ou par un tiers. Mais il y a plusieurs manières d'être impartial [...] ».
42. V. ses conclusions sous CA Paris, 8 mai 1970, Ury c. Galeries Lafayette, Rev. arb. 1970, p. 80 ;
D. 1970, p. 635, note J. Robert ainsi que les auteurs qu'il mentionne. Dans le même sens, V. J. Robert,

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