Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 293

L'impartialité atténuée du coarbitre

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Il y a également une autre raison moins avouable et difficile à quantifier. Le
choix de l'arbitre semble être souvent abandonné aux conseils (et non pas exercé
par les parties). En exerçant ce pouvoir, ils pourront nommer des personnes qui
les ont déjà nommés ou qui pourront les nommer dans d'autres affaires.
Enfin, certains avancent que la principale explication (et la meilleure justification) de l'adhésion des parties au choix unilatéral des arbitres réside dans le fait
que ce système permet de choisir des arbitres compétents puisque les parties
connaissent mieux que quiconque les détails du litige et les compétences que
doivent avoir les arbitres83.
B. SITUATION DU COARBITRE
347. Les effets psychologiques de la nomination, obstacle à l'impartialité ?
D'un point de vue psychologique, la nomination d'une personne comme arbitre
constitue un signe de confiance envers cette personne, une sorte de compliment
puisque même si cette personne méritait cette nomination, d'autres personnes le
méritaient très probablement aussi (peut-être davantage que la personne élue). En
effet, il est rare que le choix d'une personne comme arbitre s'impose. L'arbitre
choisi est donc nécessairement préféré sur les autres arbitres potentiels mais non
choisis. La confiance témoignée ou le compliment peuvent être considérés par le
coarbitre (ou, du moins, par ceux qui reçoivent le moins de nominations84) comme
à l'origine d'une dette85 et l'arbitrage pourrait être considéré comme une bonne
occasion d'honorer cette dette86.
83. Rappr. J. Tufte-Kristensen, « The Unilateral Appointment of Co-arbitrators », Arbitration
International 2016, p. 483, spéc. p. 503 ; W. W. Park, « Arbitration's Discontents : Between the
Pernicious and the Precarious », préc., p. 592 : « [L]itigants often perceive a benefit in direct selection of
a tribunal, rather than leaving the choice entirely to an institution. By vetting a proposed arbitrator, the
party may feel more comfortable that the case will be decided by someone who is skilled, fair, and perhaps
even smart ». Cela sous-entend que les parties se méfient du choix des institutions arbitrales, ou du
moins qu'elles préfèrent choisir elles-mêmes les arbitres au lieu de laisser cette tâche à celles-ci. Les
résultats d'un sondage récent vont en ce sens (Bryan Cave Leighton Paisner LLP (BCLP), Party
Appointed Arbitrators : Does Fortune Favour The Brave ?, préc.).
84. Selon certains, cela serait davantage le cas des « nouveaux » arbitres (S. Jagusch, « Starting
out as an Arbitrator : How to Get Appointments and What to Do When You Receive Them »,
Arbitration : the Journal of the Chartered Institute of Arbitrators 2005, p. 329, spéc. p. 336). Dans le
même sens, V. M. Conthe et A. Delgado, « Conflicts of Interest and Disclosure Duties of NonMartian Arbitrators », préc., p. 103 : « Some of the potential biases which have been described here
- above all those related to reciprocity and economic incentives - are much less likely to be encountered
by prestigious arbitrators, who receive frequent nominations from a multitude of parties and law
firms ».
85. Rappr. M. Kurkela et S. Turunen, Due Process in International Commercial Arbitration,
Oxford University Press, 2010, p. 116. V. aussi Y. Derains, « L'indépendance de l'arbitre, mythe ou
réalité », préc., p. 382 qui remarque la formation d'un « sentiment de reconnaissance par le seul fait
d'avoir été choisi ».
Ce sentiment de dette n'est pas propre aux coarbitres ou à certains d'entre eux, mais découle de
la « règle de la réciprocité » connue en psychologie sociale et observable dans la vie courante. Selon
cette règle, lorsqu'une personne nous fait une faveur même non sollicitée, nous ressentons le besoin de
rendre cette faveur et nous sommes habités par un sentiment de culpabilité si nous ne le faisons pas.
Sur cette question, V. par ex. M. Conthe et A. Delgado, « Conflicts of Interest and Disclosure
Duties of Non-Martian Arbitrators », préc., p. 85-87.
86. Les arbitres exercent souvent en tant qu'avocats qui attendent la bienveillance des arbitres
qu'ils nomment. Nous pouvons alors penser qu'ils vont agir, lorsqu'ils sont coarbitres, tel qu'ils
aimeraient que les coarbitres qu'ils nomment, lorsqu'ils exercent les fonctions de conseils, agissent.

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