Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 45

Introduction

27

les apparences111 ou, dans le contexte de la justice étatique, l'impartialité objective112. Toutefois, il nous semble que le concept qui permet d'appréhender le mieux
la tentation de partialité est celui de risque de partialité113. Celui-ci sert à mesurer la
probabilité que l'arbitre cède à la tentation de partialité (ce qui revient à mesurer
l'intensité de celle-ci) ou qu'il ne puisse pas aborder le litige avec un esprit ouvert si
nous adoptons la conception large de l'impartialité.
26.  Avantages du concept de risque de partialité. Le concept de risque de partialité a l'avantage d'être objectif114 en ce sens qu'il se focalise sur le fait concret ou
la circonstance établissant la tentation de partialité. De ce fait, le risque de partia111. Le concept des apparences ne nous semble pas pertinent, car le recours aux apparences
nous semble être inéluctable. En effet, il n'y a souvent que les apparences qui peuvent servir à évaluer
l'impartialité de l'arbitre du fait du caractère insaisissable de son état d'esprit (Rappr. S. Josserand,
L'impartialité du magistrat en procédure pénale, op. cit., p. 592 : « S'il fallait caractériser l'impartialité
par un second mot-clef, il serait : apparence »). Dans cette perspective, la célèbre formule anglaise
-  reprise par la CEDH  - selon laquelle « Justice must not only be done ; it must also be seen to be
done » nous semble servir à ménager la susceptibilité du juge récusé plutôt qu'à poser une norme.
Cela dit, la référence aux apparences semble inciter à donner un poids plus important aux points
de vue des parties. La référence aux apparences pourrait également être comprise comme dispensant
d'approfondir les circonstances établissant les risques de partialité en ce sens que l'organe d'évaluation
de l'impartialité n'a pas à vérifier si l'apparence de partialité reflète une partialité réelle. Autrement dit,
il n'a pas à s'assurer que le risque de partialité se réalise.
112. Nous n'allons pas nous référer à la distinction qu'opère la CEDH  entre impartialité
objective et impartialité subjective (Sur cette question, V. entre autres P. Van Dijk, « Article 6 § 1 of
the Convention and the concept of "objective impartiality"  », in Mélanges à la mémoire de Rolv
Ryssdal, C. Heymann, 2000, p.  1495). La raison ne réside pas uniquement dans le fait qu'à notre
connaissance, la jurisprudence française sur l'arbitrage ne s'y réfère jamais, mais surtout dans le fait
qu'elle ne nous semble pas opportune, notamment dans le contexte de l'arbitrage.
Même dans le contexte étatique, elle a été abondamment critiquée par la doctrine aux opinions
de laquelle nous souscrivons. Il a notamment été remarqué que cette distinction « se révèle peu
opérante dans les faits » et que la CEDH  « privilégie l'impartialité objective - sauf en de rares
exceptions  -, même devant les cas manifestes de partialité personnelle du magistrat » (G. Lazarova,
L'impartialité de la justice - Recherche sur la circulation d'un principe entre le droit interne et le droit
international, préc., n° 404, p. 541-542).
La distinction a été jugée « sans pertinence » et que « loin de caractériser le concept d'impartialité,
elle le confond avec les garanties ». Il a donc été proposé que cette distinction soit « remplacée par la
suivante : l'impartialité effective -  invérifiable  - et l'impartialité apparente sauvegardée », car cette
« distinction a le mérite de ne pas donner à penser que le concept d'impartialité se dédouble »
(S. Josserand, L'impartialité du magistrat en procédure pénale, op. cit., p. 592).
Un autre auteur (D. Roets, Impartialité et justice pénale, op.  cit.) explique qu'une : « [T]elle
opposition est sans fondement : l'impartialité est ou n'est pas » (p. 18) et qu'il « n'y a pas, d'un côté,
les règles relevant de l'impartialité objective et, de l'autre, celles procédant de l'impartialité subjective »
(p. 19).
113. La jurisprudence française préfère plutôt le concept ou l'expression « doute raisonnable des
parties ». V. toutefois CA Versailles, 26  nov.  2015, GAT c. République du Congo, n° 12/02855 ;
Cass. 1re civ., 4 mai 2017, GAT c. République du Congo, n° 15-29158 qui évoquent un risque de défaut
d'indépendance et d'impartialité. Il nous semble néanmoins maladroit de parler de « risque de défaut
d'indépendance », car l'indépendance est une situation objective aisément vérifiable. Un arbitre est
indépendant ou ne l'est pas. V. aussi CA Paris, 28  nov.  2002, Voith Turbo GmbH  AG  c. SNCFT,
Rev. arb. 2003, p. 445, note Ch. Belloc ; JCP 2003, I, 164, §3, obs. Ch. Seraglini qui évoque un « risque
certain de prévention à l'égard de l'une des parties ».
Il est à noter que la doctrine utilise parfois l'expression « risque de partialité ». V. par ex.
P. Mayer, « Réflexions sur l'exigence d'indépendance de l'arbitre », préc. ; F. Defferrard, La
suspicion légitime, LGDJ, 2000, p. 266.
114. Il est à noter que certaines décisions françaises, conscientes de la trop grande subjectivité
du standard du doute raisonnable des parties, précisent que ces doutes doivent être appréciés
« objectivement ». V. par ex. CA Versailles, 26 nov. 2015, GAT c. République du Congo, préc. V. aussi
CA Paris, 17  déc. 2019, Galeries Lafayette c. BNP Paribas Personal Finance, n° 17/23073,

978-2-275-07838-0__DOCFILE__978-2-275-07838-0_corpus.indd 27

30/06/2020 10:55:10
Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre
