Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 90

L'IMPARTIALITÉ DE L'ARBITRE

plutôt progressive. Elle se forme au fur et à mesure de l'avancement de la procédure114 et ne se termine qu'avec la reddition de la sentence115.
Vu la formation progressive de la conviction de l'arbitre, ce serait dommage
que celui-ci se prive d'une opportunité d'approfondissement de sa réflexion sur
sa décision finale pendant les audiences alors que celles-ci ont précisément pour
objectif de préparer cette décision. Ainsi, une vision réaliste de la formation de
la conviction de l'arbitre permet de concevoir différemment le rôle de l'audience.
Celle-ci ne profite pas exclusivement aux parties, mais profite également à l'arbitre qui peut y tester ses intuitions, ses doutes et ses préjugés en les extériorisant
et en les partageant avec les parties (et les autres arbitres) sous forme de questions et remarques formulées de manière neutre116. Il en va de l'intérêt des parties
et de la justice. En effet, il n'y a pas d'intérêt à attendre de l'arbitre une passivité
et une neutralité absolues lors de la procédure, car celui-ci devra, au bout du
compte, se ranger aux thèses d'une des deux parties. C'est en revanche l'impartialité qui est attendue de l'arbitre, c'est-à-dire une objectivité, une honnêteté
intellectuelle et une aptitude à changer d'opinion jusqu'à la dernière minute du
délibéré117. Dans ces conditions, mieux vaut - nous semble-t-il - que les parties
puissent avoir une idée des orientations de l'arbitre sur le litige pendant les
audiences, afin que celles-ci soient en mesure de les influencer, que de les découvrir dans la sentence une fois rendue (et devoir éventuellement subir une décision
erronée). En partageant ses doutes, l'arbitre permet aux parties de les dissiper ou
de les confirmer et donc augmente l'efficacité du contradictoire et des audiences.
Il convient alors de se montrer tolérant devant les questions des arbitres même
lorsqu'elles semblent traduire un point de vue et de ne pas y voir des indices de
partialité surtout lors des dernières audiences où nous pouvons légitimement
attendre (et espérer) de la part de l'arbitre une certaine maturité de la réflexion118.
Il serait en effet utopique d'attendre du juge qu'il prenne connaissance du dossier répressif avant
l'ouverture du procès et qu'il suive les débats sans jamais structurer les éléments de la cause, sans
jamais en préférer certains à d'autres parce qu'ils lui paraissent davantage pertinents ou crédibles ».
114. On a d'ailleurs écrit que « le délibéré commence dès le début de la procédure » (D. Hascher,
« Indépendances de la justice étatique et de la justice arbitrale », préc., p. 92).
115. À ce propos, un auteur écrit que « [...] la décision du juge ne lui vient pas à l'esprit, évidente
et soudaine, comme une illumination. Elle est le résultat d'une réflexion sur le litige. La réflexion est
plus ou moins progressive, jalonnée d'appréciations provisoires que sauf à défier le bon sens
l'impartialité ne saurait exclure. Elles sont à vérifier, grâce au débat contradictoire » (G. Bolard,
« L'impartialité du juge au risque de la loi ? », préc.).
116. Cette vision des choses ne semble pas étrangère à la pratique. V. par ex. Cour permanente
d'arbitrage (Sec. gén.), 4 mars 2019, Vattenfall AB and others v. Germany, n° 2019/1, ICSID
n° ARB/12/12, § 69 : « I note that arbitrators routinely propose their own analysis of facts and law to
disputing parties, and then allow the parties a fair opportunity to present their views ». V. aussi l'article 2.4
des « Règles sur la conduite efficace de la procédure d'arbitrage international » (Prague Rules) qui
autorise expressément l'arbitre à donner son « opinion préliminaire », entre autres, sur les « points
contestés » ainsi que « la valeur et la pertinence des preuves présentées par les parties ». L'article 2.5
prend le soin de préciser que « [l]'expression de telles opinions préliminaires ne sera pas en soi
considérée comme une preuve [de] manque [...] d'impartialité ».
117. J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, op. cit., n° 820 : « Un arbitre, parce qu'il est et doit
demeurer indépendant et impartial, conserve (et doit conserver) ses doutes jusqu'au bout ».
V. aussi F. Kuty, L'impartialité du juge en procédure pénale : de la confiance décrétée à la confiance
justifiée, op. cit., p. 136 : Le juge « doit toujours être conscient de ce que l'argument qui sera peut-être
développé dans quelques instants pourrait mettre à néant une hypothèse à peine échafaudée ».
118. Plus généralement, si la contradiction entre les parties est une garantie fondamentale du
procès équitable, il ne faudrait pas refuser toute contradiction et confrontation entre les parties et les
ébauches de réflexion ou de décision de l'arbitre.

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