Hors collection - Règlement de l'Assemblée nationale commenté - 277

d'une commission. En effet, il suffit de procéder à une modification du contenu du rapport et de l'intitulé
final afin d'écarter du champ d'investigation les faits donnant lieu aux poursuites et ainsi dedistinguer
soigneusement le domaine de l'enquête parlementaire de celui de l'autorité judiciaire.
Cette attitude bienveillante, impliquant un comportement consensuel des parlementaires90
, permet
donc de créer des commissions d'enquête nonobstant l'existence de poursuites judiciaires (v., notamment,
celles concernant la démission de Jérôme Cahuzac91
l'affaire Benalla93
, la lutte contre le terrorisme92
se prononcer sur les causes ou les conséquences des faits faisant l'objet de poursuites95
), de leur laisser la possibilité d'auditionner des personnes mises en examen94
ou encore
ou de
. Autrement
dit, la création est exclue seulement dans l'hypothèse circonscrite et rare où les faits donnant lieu aux
poursuites sont exactement ceux au centre du champ d'investigation souhaité96
. La souplesse est aussi
de mise au regard de l'article 139 alinéa 3 prescrivant que si le garde des Sceaux fait état, alors que
les travaux de la commission ont commencé, de l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire, « le
président de la commission met fin à ses travaux ». Une nouvelle fois, la restriction réglementaire est
aisément contournable en réajustant le périmètre des investigations. Il est, du reste, à observer que des
commissions d'enquêtes ont pu, sans difficultés, examiner le fonctionnement de l'autorité judiciaire que
ce soit de manière globale ou sur une affaire spécifique97
.
Pour terminer, le cadre libéral du régime de création d'une commission d'enquête, pareillement présent
au Sénat, est parfois de nature à susciter des tensions et protestations politiques de la part de l'Exécutif
invoquant, à tort, la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs. Pour se borner à un cas
récent, on songera aux vives remises en cause par le chef de l'État, le garde des Sceaux et le ministre de
l'Intérieur du fondement des investigations conduites sur l'affaire Benalla, en 2018, par la commission
des lois du Sénat dotée de prérogatives d'une commission d'enquête (en application de l'article 5 ter de
l'ordonnance du 17 novembre 1958). Il n'y avait pour autant rien à dire sur le plan juridique et, comme
il fallait s'y attendre, la disputatio s'est rapidement dissipée.
Modalités de création. Le processus de formation d'une commission d'enquête a longtemps été semé
d'embûches. Rares étaient, dans les années 1960, les propositions de résolution examinées en commission
90. V., inversement, le refus de créer une commission d'enquête sur l'attentat de Karachi et donc, à défaut, la mise en place d'une
mission d'information (AN, doc. parl., n° 2514, 12 mai 2010).
91. Plus précisément, celle relative au fonctionnement de l'action du gouvernement et des services de l'État entre le 4 déc. 2012 et
le 2 avr. 2013 dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement (AN, doc. parl., n° 1408,
15 oct. 2013). Autrement dit, la commission d'enquête ne pouvait se pencher sur les éléments faisant l'objet d'enquête de la part
de l'autorité judiciaire à savoir l'origine des fonds, leurs montants et les montages financiers utilisés.
92. AN, doc. parl., n° 3922, 5 juill. 2016.
93. V., mutatis mutandis, la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête chargée de se pencher pour
« faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1er
mai 2018 ».
94. Tels, par exemple, B. Bonnet, H. Mazères et G. Pardini (Commission d'enquête sur le fonctionnement des forces de sécurité en
Corse (AN, doc. parl., n° 1918, 10 nov. 1999)), J. Cahuzac (v. supra AN, doc. parl., n° 1408, 15 oct. 2013) et A. Benalla (S., doc.
parl., n° 324, 20 févr. 2019).
95. Commission d'enquête sur le Crédit Lyonnais (AN, doc. parl., n° 1480, 5 juill. 1994).
96. V. par exemple : AN, doc. parl., n° 647, 21 janv. 1998 (bilan de l'action de l'entreprise Elf- Aquitaine et de ses filiales dans les
États africains) ; n° 886, 28 mai 2003 (conditions de fermeture de l'usine Metaleurop de Noyelles- Godault).
97. Commissions d'enquête sur les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité
judiciaire (S., doc. parl., n° 357, 5 juin 1991) ; sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire (AN, doc. parl., n° 3296,
2 sept. 2020) et affaire Sarah Halimi (AN, doc. parl., n° 4875, 6 janv. 2022). Toutefois, les difficultés rencontrées dans la seconde
espèce ont conduit la commission à préconiser de réviser l'ordonnance du 17 nov. 1958 afin d'interdire la création d'une commission
d'enquête sur une affaire déjà jugée, sauf en cas d'erreur judiciaire manifeste (ibid., p. 26).
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