Hors collection - Règlement de l'Assemblée nationale commenté - 59

Cette reconnaissance n'éteignit pas les critiques. Dans un article célèbre de 195530
, Michel Debré n'hésita
pas à leur imputer la responsabilité de l'assujettissement de l'exécutif. Pourtant la compétence de
chacune des 19 commissions ne coïncidait pas obligatoirement avec celle d'un portefeuille ministériel.
Sans grande surprise, en réaction, le constituant de 1958 les cantonna dans un rôle strictement technique,
leur confiant un modeste travail législatif préparatoire tout en réduisant leur nombre à six. Et pour
faire bonne mesure, il grava ce chiffre dans la Constitution. Avec 150 membres dans deux commissions
et 60 dans les quatre autres, le gouvernement était ainsi protégé de toute volonté de spécialisation de
nature à le concurrencer !
Évidemment, rapidement l'expérience montra qu'une telle limitation s'avérait excessive et des propositions
d'assouplissement se multiplièrent. Ainsi dans une résolution déposée en 1969, le président de
l'Assemblée Jacques Chaban- Delmas suggéra de créer deux commissions supplémentaires afin que
« l'Assemblée [soit] certainement mieux informée et plus efficace ». Trente ans plus tard, en 1998, son
successeur Laurent Fabius plaida - sans plus de succès - pour l'existence de dix commissions « pour
favoriser le bon exercice des tâches de contrôle incombant au Parlement ».
Il fallut attendre 2008 pour que l'article 43 C soit révisé, portant le chiffre à huit. Une évolution qu'avait
souhaitée en 1993 le « comité consultatif pour la révision de la Constitution » que présidait Georges Vedel,
mais en deçà des préconisations du comité Balladur qui avait avancé le chiffre de dix. Dans tous les cas,
ce fut une bien prudente modification au regard de la réalité des Parlements européens : 32 commissions
permanentes au Royaume Uni, 23 en Espagne et en Allemagne, 14 en Italie...
Il n'y a naturellement aucune justification rationnelle à cette limite de huit commissions permanentes.
D'ailleurs l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle déposée le 23 avril 2008 sur le bureau de
l'Assemblée ne s'y risquait pas, se contentant d'affirmer que la nouvelle configuration devait « favoriser
un travail plus efficace grâce à des effectifs resserrés et des compétences plus cohérentes, et permettre
la traduction, dans l'organisation interne des assemblées, d'enjeux politiques nouveaux ». Et lors des
débats, le rapporteur Jean- Luc Warsmann ne fut guère plus explicite, se bornant à relever que cette
modification permettait de « trouver un équilibre entre la tentative de prolifération des commissions
permanentes et la tentation inverse d'une contrainte excessive imposée aux assemblées parlementaires
en matière d'organisation interne ».
En revanche, il est patent d'observer que ce changement n'a en rien fait disparaître les nombreuses
« délégations », « comités » ou « offices »31
qui existent dans l'institution et qui avaient été créés pour
contourner l'interdit constitutionnel. Il n'est donc pas impossible de continuer à s'interroger sur la nécessité
de priver les assemblées de leur capacité d'auto- organisation.
Au moment de définir les périmètres des nouvelles commissions, les hésitations furent nombreuses à
partir d'un diagnostic qui était cependant partagé.
Depuis des lustres, il était patent que la commission des lois pliait sous la tâche, que celle des affaires
sociales, culturelles et familiales se démultipliait en autant de spécialités, que la commission dite un temps
de « la production et des échanges » puis plus simplement « des affaires économiques » traitait un jour
d'énergie, le lendemain de transport et d'équipement, le jour suivant de sécurité alimentaire ou de taille
30. M. Debré, « Trois caractéristiques du système parlementaire français », RFSP 1955, n° 1, p. 21-48.
31. Délégation aux droits des femmes, délégation aux outre- mers, délégation parlementaire au renseignement, délégation aux
collectivités locales et à la décentralisation, office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, comité
d'évaluation et de contrôle, mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, commission des
affaires européennes...
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