Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français - 236

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LE PRINCIPE DE LIBERTÉ EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS

individus (des motifs, du milieu, des circonstances). Il est attendu du droit qu'il
intervienne plus concrètement pour permettre la liberté  : une liberté moins formelle mais plus effective (et plus concrète). L'Etat prend en compte les pesanteurs et déterminismes sociaux pour atténuer la responsabilité par un principe de
solidarité. Il intervient plus activement pour donner une chance à la liberté de se
vivre, et d'être un principe plus effectif. Ce qui est recherché, face à une liberté
théorique, est une liberté de fait, non pas seulement un « droit d'être libre », mais
un « pouvoir-être libre ». Louis Blanc l'a bien exprimé, montrant à la fois les malheurs d'une liberté théorique, aveugle aux réalités, et la nécessité d'une liberté réelle
- effective : « c'est parce qu'on a défini la liberté par le mot droit, qu'on en est venu
à appeler hommes libres, des hommes esclaves de la faim, esclaves du froid, esclaves
de l'ignorance, esclaves du hasard. Disons-le donc une fois pour toutes : la liberté
consiste, non pas seulement dans le droit accordé mais dans le pouvoir donné à
l'homme d'exercer, de développer ses facultés, sous l'empire de la justice et sous
sauvegarde de la loi »17. De cette conception résulte la nécessité d'un Etat fort, d'un
grand interventionnisme pour assurer la liberté effective18.
536.  La traduction juridique de l'État Social : une modification subreptice de la
liberté. Ce passage d'un Etat-Gendarme très libéral, à un Etat-Providence plus
social se traduit en droit positif par le Préambule de 194619. Ce texte confère de
nombreux droits particuliers aux individus, visant à les protéger (par le droit au
travail, le droit syndical, le droit à la santé et la protection sociale) et à l'envisager
dans sa particularité (égalité entre homme et femme, participation des travailleurs)20.
Le Préambule pose donc des principes sociaux visant à assurer l'égalité, ou une
forme de justice sociale. Cette modification du système juridique intervient à l'issue des évolutions des années 1930 qui, cherchant à expliquer le désordre international, économique, social, intellectuel et spirituel, les ont conduits à conclure en
l'existence d'une crise totale de la civilisation. C'est dans ce contexte que se développe la révolution personnaliste21 des « non-conformistes » à la recherche d'un
17. L.  Blanc, Organisation du travail, Meline-Cours, 1848, p.  29, reproduit dans Les grands
discours de la culture juridique, Dalloz, 2017, pp. 480-490.
18. Ibid., p. 30 : « dès qu'on admet qu'il faut à l'homme, pour être vraiment libre, le pouvoir
d'exercer et de développer ses facultés, il en résulte que la société doit à chacun de ses membres, de
l'instruction, sans laquelle l'esprit humain ne peut se déployer, et les instruments de travail, sans
lesquels l'activité humaine ne peut se donner carrière ». Néanmoins l'auteur précise que cette nécessité
n'est pas absolue mais relative en ce qu'elle « dérive uniquement de l'état de faiblesse, de misère,
d'ignorance où les précédentes tyrannies ont plongé le peuple ».
19. Comme l'explique Gérard Conac  : « le texte proposé ne vise pas seulement comme la
Déclaration de 1789 au maintien du bonheur de tous, mais dans une perspective dynamique au plein
développement physique, intellectuel et moral de tout être humain dans l'intégrité de la dignité de sa
personne », G. Conac, « Le Préambule de la Constitution de 1946. Une genèse difficile, un itinéraire
imprévu » in G. Conac, X. Prétot, G. Teboul (dir.), Le Préambule de la Constitution de 1946, Dalloz,
Coll. Thèmes et commentaires, 2001, p. 8.
20. Néanmoins, il existe une critique visant à faire reconnaitre mieux les droits sociaux. Cela ne
contredit pas l'analyse de cette étude, mais certains droits peuvent ne pas aller assez loin selon des
auteurs. V. P.H. Imbert, « Droit des pauvres, pauvre(s) droit(s) ? Réflexions sur les droits économiques,
sociaux et culturels », RDP, 1989, p.  739 et s  ; D. Roman (dir.), Droit des pauvres, pauvres droits  ?
Recherche sur la juridicité des droits sociaux, Rapport commission justice, 2010, 482 pages.
21. Ces principes du personnalisme sont notamment présentés par Mounier, qui conduit à un
certain sens de la liberté. Selon cet auteur, « une civilisation personnaliste est une civilisation dont les
structures et l'esprit sont orientés à l'accomplissement comme personne de chacun des individiques
qui la composent », c'est-à-dire de « mettre chaque personne en état de vivre autrement dit « de
pouvoir accéder au maximum d'initiative, de responsabilité, de vie spirituelle », E. Mounier, Ecrits sur

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