Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français - 31

INTRODUCTION

différence (qui est une autre option)54, mais le but est toujours la préservation de l'indépendance individuelle et la garantie des libertés indispensables. Par conséquent, la liberté dans la conception anglo-américaine est
très libérale, et en même temps liée à l'idée de propriété55.
42. À la différence de cette conception, la représentation majoritairement
faite de la liberté sur « le continent » donne une plus grande place à la nécessité de
l'ordre, et admet une intervention plus forte de l'État, qui ne serait pas acceptée
par les citoyens anglo-américains sans qu'ils aient l'impression que cela nuise à
leur liberté. Cela provient d'une culture et d'un esprit différents entre ces pays. Par
ailleurs, la liberté dans la conception anglaise est une expérience concrète, éprouvée et moins un droit posé a priori, comme cela se trouve en droit français.
43. Cependant, certains marquent aussi des conceptions différentes à l'intérieur même du groupe des pays continentaux, par exemple entre l'Allemagne et la
France. Mais ces différences anciennes sont moins pertinentes aujourd'hui. Selon
Philippe d'Iribarne, l'homme libre dans la perception allemande est « celui qui, au
sein d'une communauté, a voix au chapitre dans des décisions collectives auxquelles
il est prêt à se soumettre »56. Autrement dit, la liberté était conçue comme impliquant une soumission à la société57, mais lui permettant tout de même de prétendre
à son libre développement58. D'ailleurs, les penseurs libéraux allemands du
XIXe siècle insistaient essentiellement sur les libertés collectives, auxquelles ils
accordaient une valeur fondatrice. La liberté individuelle présupposait, pour eux, la
liberté des groupes de socialisation des individus (par exemple, la famille, les corps
de métiers, l'État). Cependant depuis les monstruosités du nazisme, la conception
s'est modifiée avec un retour à soi, à l'individu. Mais, selon Philippe d'Iribarne,
serait toujours importante l'idée de communauté, d'une pensée du collectif pour
envisager la liberté individuelle, comme en attestent les théories d'Habermas59, tout
54. Ibid., p. 91 : Le principe de différence est présenté de la manière suivante : « les inégalités
sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l'on puisse
raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient à l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attachées à
des positions et à des fonctions ouvertes à tous ».
55. Céline Roynier, dans sa thèse de doctorat, explique bien que la conception de la liberté en
common law peut être mieux comprise par la triade « life, liberty, possessions » ; cette « triade est une
forme qui signifie la liberté à chaque fois qu'elle apparait ». Ces trois mots peuvent être eux-mêmes
mieux saisis par le terme générique de property (beaucoup utilisé par Locke notamment), néanmoins
ce concept ne correspond pas seulement à la propriété des biens, mais à tout ce qui appartient à
l'individu et qu'on ne peut lui retirer sans son consentement (à savoir sa vie, sa liberté et ses biens),
C. Roynier Le problème de la liberté dans le constitutionnalisme britannique, Thèse de doctorat, Paris
II, 2011, p. 83 et s, p. 195 et s. ; Comme l'explique Ph. Raynaud, « Locke » in Ph. Raynaud, S. Rials
(dir.), Dictionnaire de philosophie politique, PUF, Coll. Quadrige, 2003, p. 415 : « le noyau originaire et
inaliénable de la propriété se trouve donc dans la personnalité subjective, dont les droits sont fondés
sur la « loi naturelle ».
56. Ph. d'Iribarne, « Trois figures...art. cit., p. 960.
57. La grande Révolution de 1848-1849 montre une certaine conception de la liberté, en ce
qu'elle prévoyait une juridiction nationale garant des droits « fondamentaux », qui correspondait aux
« droits historiques des Allemands », cela atteste de l'insistance non pas portée à l'Homme individuel,
mais à l'Homme appartenant à la Nation allemande. O. Jouanjan, « Origine des droits fondamentaux
en Allemagne : le moment 1848 », RDP, n°3, 2012, pp. 764-782.
58. E. Troeltsch, « Die deutsche Idee der Freiheit », in L. Dumont, L'idéologie, Gallimard, 1991,
p. 61 : « la liberté de l'Allemand est une discipline voulue, avancement et développement du moi
propre dans un tout et pour un tout ».
59. V. par exemple : J. Habermas, L'espace public : Archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, Payot, Coll. Critique de la philosophie, 1988, 322 pages.

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