Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français - 403

LA LIBERTÉ COMME PRINCIPE ONTOLOGIQUE DU DROIT

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2.	 Les conséquences de la dichotomie entre fait et droit, être et devoir-être
881.  De cette théorisation du droit en opposition au fait, découlent de nombreuses conséquences.
882. L'impossibilité de reconnaissance de principes ontologiques relatifs au
fond du droit. Les divisions précitées impliquent qu'il ne peut y avoir, dans le droit,
de principes ontologiques, à partir desquels il serait possible de définir des règles
de droit. Dans cette logique, la volonté pourrait donc tout vouloir, tout poser sans
limite objective. Le droit tiendrait donc sa source dans une création volontaire,
qui pourrait être sans limite mais aussi arbitraire32. Cette impossibilité de reconnaissance de principes ontologiques substantiels est un des grands obstacles à la
pleine reconnaissance, en doctrine et en jurisprudence, de la liberté comme principe s'imposant au droit.
883.  Postulation de la neutralité axiologique du juriste et de sa science. Il y
aurait une mise à l'écart par la science du droit de toute réflexion sur les contenus substantiels du droit33, par exemple la justice, l'égalité, la liberté. Il n'y aurait
aucune évaluation critique ou substantielle, ni de recherche d'une quelconque
essence de telles ou telles choses juridiques, mais un travail rigoureux de description des normes, précédé d'une détermination de sa validité puis de sa
conformité34. Mais, évidemment, cet interdit imposé à la connaissance du droit
est déjà idéologique35, de cet objet tel qu'il le définit ontologiquement, c'est-àdire tel que purgé (pour les besoins de la cause) de ses déterminations substantielles. De plus, cette conception de la neutralité pose un problème fondamental
pour le but du droit : cette science du droit semble y être tout à fait aveugle, en
particulier lorsqu'elle s'interdit même de se poser la question de la liberté de
l'homme et de connaître les raisons pour lesquelles le droit existe, et donc de
juger la norme en référence au but de celle-ci. Dans cette perspective, le droit
n'est pas seulement isolé, il n'est que limité au sens que tel droit positif lui
donne, et non pas un sens objectif qui pourrait, le cas échéant, s'imposer
32. François Brunet met cette donnée en exergue  : « le droit positif aurait une prodigieuse
capacité à s'autodéterminer absolument, il pourrait tout faire puisqu'il n'aurait d'autres comptes à
rendre qu'à sa propre volonté, car il serait l'œuvre des seules volontés subjectives des autorités
habilitées », F. Brunet, La normativité...op. cit., p. 93.
33. Kelsen écrit à cet égard que la théorie du positivisme juridique « ne se considère, en tant que
science, comme obligée à rien d'autre ni de plus qu'à saisir le droit positif dans son essence, et à le
comprendre par une analyse de sa structure. Elle rejette en particulier toute idée de servir de quelconques
intérêts politiques en leur fournissant les 'idéologies' grâce auxquelles l'ordre social existant serait ou
légitimé ou au contraire disqualifié. Elle empêche ainsi qu'au nom de la science du droit, on attache au
droit positif, en l'identifiant avec un droit idéal ou juste, une valeur supérieure à celle qu'il a réellement,
ou qu'on lui refuse toute valeur et par conséquent la validité elle-même, parce qu'il serait en contradiction
avec un droit idéal ou juste », H. Kelsen, Théorie pure du droit...op. cit., p. 148.
34. Comme l'explique Kelsen lui-même  : « le positivisme juridique se refuse à répondre à la
question de la justification de la validité du droit positif par référence à un ordre normatif autre, qui
serait différent du droit positif et supérieur à lui. Il ne reconnaît qu'un droit, le droit positif ; il a, en
opposition avec le caractère dualiste de la doctrine du droit naturel, un caractère moniste », H. Kelsen,
« Positivisme juridique et doctrine du droit naturel » in Mélanges en l'honneur Jean Dabin, Sirey,
Bruylant, 1963, p. 142.
35. L'idéologie derrière l'idée de créer une science pure du droit réside dans la volonté
d'autonomiser le droit, de donner un certain rôle au juriste. La pureté est elle-même une valeur et une
idéologie. De plus, par cette recherche de pureté, et démarche anti-idéologique de la science du droit
prônée par Kelsen, il y a aussi un objectif politique de critique de l'idéologie. V sur ce point, C. M.
Herrera, La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, Les presses universitaires de Laval
Québec, Coll. Dikè, 2004, spéc. pp. 26-27.

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