Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français - 477

LA LIBERTÉ COMME PRINCIPE NÉCESSAIRE AU DROIT

459

développé cette manière de penser le droit comme contrainte82. Cette identification est poussée à son extrême avec Jhering notamment, lequel écrit : « une règle
de droit dépourvue de contrainte juridique est un non-sens : c'est un feu qui ne
brûle pas, un flambeau qui n'éclaire pas »83. Kelsen, dans le même sens, en vient
même à écrire « ce qui " doit être " , ce n'est pas la conduite ordonnée, mais bien la
sanction »84. Selon ce raisonnement, la sanction serait alors une fin en soi, il
n'existerait pas de droit sans sanction. Cette conception est reprise par les juristes
positivistes français, au titre desquels se trouve notamment Carré de Malberg85 et
Léon Duguit86. En résumé, la sanction est bien le critère du droit, et à sa suite se
trouverait toujours la contrainte.
1081.  Pourtant sanction et contrainte sont deux mots différents aux significations différentes. La sanction doit-elle être nécessairement et automatiquement
alliée à la contrainte ? Quel est le sens et quelles sont les conséquences d'un droit
fondé sur la contrainte ?
1082.  La nécessaire distinction entre sanction et contrainte. Pour mieux comprendre, il faut revenir à l'étymologie du mot « sanction ». Il provient du latin
sanctio, formé à partir du verbe sancire, is sanctum. Selon Beveniste, le verbe sancire signifie « délimiter le champ d'application d'une disposition et rendre celle-ci
inviolable en la mettant sous la protection des dieux, en appelant sur le violateur
éventuel le châtiment divin »87. Le mot de « sanctuaire » porte bien en lui cette
signification. La sanction apparaît donc comme la protection ou une garantie
visant à assurer le respect d'une règle. La doctrine juridique a assez peu travaillé
à définir la sanction, à tel point qu'elle a été vue comme l'« inconnue du droit »88,
selon la célèbre formule de Philippe Jestaz. Mais elle a pris une importance consi82. « la notion de loi comporte deux éléments : elle est la règle des actes humains, et elle a une
force de coercition », Saint Thomas D'Aquin, La somme théologique, t. 2...op.cit., p. 607 (question 96,
article 5) ; « C'est pourquoi ces lois (que respecte celui qui s'efforce de les respecter quand les autres
les respectent), chaque fois que fait défaut la crainte d'une puissance coercitive, n'obligent pas, et
n'empêchent pas qu'il soit licite à chacun de demander sa sécurité à ses propres forces et artifices »,
T. Hobbes, Leviathan, Dalloz, Coll. Vrin, 2004, pp.  139-140  ; v.  l'oeuvre de Kant dans ce sens,
particulièrement E. Kant, Métaphysique des moeurs. Doctrine du droit, Vrin, Coll. Bibliothèque des
textes philosophiques, 1993, pp. 105-108, spéc. p. 106 : « le droit et la faculté de contraindre sont une
seule et même chose »,
83. R.  Von Jhering, L'évolution du droit, Chevalier-Marescq, 1901, p. 206, « le droit peut, à mon
avis, se définir exactement  : l'ensemble des normes en vertu desquelles, dans un Etat, s'exerce la
contrainte », p. 215. 
84. H.  Kelsen, La théorie pure du droit, Dalloz, 1962. Il explique ainsi qu'« une conduite donnée
ne peut être considérée comme prescrite -s'il s'agit d'un ordre juridique, cela signifiera  : comme
juridiquement prescrite- que si et du fait que la conduite contraire est la condition d'une sanction
stricto sensu »,  p.  35 ; « l'élément de contrainte, c'est-à-dire la circonstance que l'acte institué par
l'ordre comme conséquence d'une situation considérée comme socialement nuisible doit être réalisé
même contre le gré de l'individu qu'elle doit atteindre et, en cas de résistance, par l'emploi de la force
physique - voilà le critérium décisif », p. 48 ; « seul cet élément de la contrainte permet de clairement
distinguer le droit de tout ordre social », p. 73.
85. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'Etat, tome 2, Sirey-CNRS, 19201922, p. 329 : « une règle quelconque (...) ne devient une règle de droit proprement dite qu'autant
qu'elle possède une sanction matérielle, résultant de ce que son exécution peut être procurée ou son
inexécution réprimée par des moyens humains de coercition immédiate ».
86. L.  Duguit, Traité de droit constitutionnel, t.1...op.  cit., p.  142  : « c'est la sanction par la
contrainte qui est le critérium de la règle de droit ».
87. E.  Benveniste, Vocabulaire des institutions indo-européennes, vol. II,, Les éditions du minuit,
1969, p. 190.
88. Ph. Jestaz, « La sanction ou l'inconnue du droit », Recueil Dalloz, 1986, p. 197 et s.

978-2-275-07899-1__DOCFILE__978-2-275-07899-1_perera_4e__de_couverture.indd 459

11/12/2020 13:47:11
Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français
