Contextes - Penser l'ancien droit public - 125

Cyrille Dounot
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l'intervention du législateur. Or, comme le reconnaît Gaston Jèze, « l'étendue
et l'efficacité des libertés individuelles dépendent, en totalité, de l'appréciation
des gouvernants »79
.
. Il s'ensuit que l'histoire des libertés publiques considérée
sous cet angle pourrait, de manière assez paradoxale, exclure les pays de common
law dont l'essentiel des libertés consacrées vient du juge, et non du législateur80
Une société qui admettrait, par exemple, la liberté de pensée, mais ne l'inscrirait
pas dans sa loi, n'intègrerait pas une telle histoire des libertés publiques. C'est
pourquoi certains auteurs mettent en garde contre « la fragilité des fondements »
des droits et libertés, en l'occurrence du fondement démocratique81
. Si, en
effet, les droits et libertés ne sont que du droit positif, alors une nouvelle majorité
politique suffira à les renverser, et leur histoire se confondra peu ou prou
avec celle des élections et de l'opinion.
Pour autant, ce questionnement a- t-il une incidence réelle sur l'écriture de
l'histoire des droits et libertés ? L'exemple de l'esclavage permet d'en douter.
Louis X, par édit du 3 juillet 1315, affirme que « selon le droit de nature,
chacun doit naître franc », et constate l'extinction de l'esclavage en France, usage
long de plusieurs siècles en Occident82
. Il légifère ensuite : « comme la servitude
moult nous déplaît [...] avons ordonné et ordonnons à tous lieux, villes et
communautés et personnes singulièrement et généralement, que par tout notre
royaume les serviteurs seront amenés à franchise ». Il assoit cette disposition
de droit positif sur le droit naturel, tout comme le fera le décret Schœlcher
du 27 avril 184883
. Ce dernier s'ouvre par des considérants éminemment
jusnaturalistes : « Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité
humaine [... et] supprime le principe naturel du droit et du devoir ». Ce n'est
qu'ensuite qu'il pose la conséquence normative en son article 1er
: « L'esclavage
sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises ». De
l'un à l'autre exemple, la liberté native de tout homme est positivée par une
règle explicitement référée à la nature de l'homme. Ainsi, l'affirmation, même
contraignante, d'une liberté naturelle à l'homme ne peut se passer de sa traduction
en droit positif.
79. G. Jèze, Annuaire de l'Institut international de droit public, Paris, 1929, p. 168, cité par
P. Wachsmann, art. cit., p. 274.
80. Bien que les choses aient changé au tournant du xxie
siècle, cf. J. Beatson, « Le Royaume- Uni
et la Nouvelle Déclaration des Droits », Revue française de droit constitutionnel, 2001/4 (n° 48),
p. 687-694.
81. J. Morange, Manuel des droits de l'homme et des libertés publiques, Paris, PUF, 2007, p. 273.
82. F.-A. Isambert et alii, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la
Révolution de 1789, Paris, Belin- Leprieur, 1821, t. 3, p. 102-104.
83. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil
d'État, Paris, 1848, t. 48, p. 194.
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