Contextes - Penser l'ancien droit public - 234

224
Penser l'impôt direct sous l'Ancien Régime
A. Le droit royal d'imposer
Bien qu'il ait étendu sa mainmise sur le territoire du royaume et accru
son domaine en conséquence, le roi, dès le xiiie
siècle, ne peut plus « vivre
du sien ». Le coût de la guerre le contraint à trouver de nouvelles ressources
pour financer l'armée royale13
marque une étape essentielle en faisant progresser l'idée d'un impôt prélevé
à l'échelle de tout le royaume14
la théorie des causes d'Aristote15
. Le recours aux aides s'impose alors de plus
en plus fréquemment, illustrant le passage progressif d'un État domanial
à un État fiscal16
. Âprement négociées auprès des états ou des villes, elles
conservent un caractère féodal nettement marqué et elles sont exceptionnelles.
L'impôt dû au roi n'est donc pas la règle, il n'est pas permanent, il doit être
consenti et n'est légitime qu'en cas de nécessité. Le principe reste que le roi
doit « vivre du sien », donc de ses revenus domaniaux. La doctrine du temps
s'en fait l'écho. Évrart de Trémaugon écrit dans son Somnium Viridarii qu'un
prince peut demander l'aide de ses sujets, mais seulement pour la « deffensse
de la chose publique » ou pour le « profit comun »17
du Vergier ne fait pas référence à un quelconque consentement des états,
Philippe de Mézières l'exige quelques années plus tard dans son Songe du
Vieil Pèlerin : comme les sujets du roi sont des « frans », non des « sers et des
esclaves », il faut solliciter l'aide des « estas du royaume » afin de financer « la
guerre publique »18
. Ainsi, depuis la fin du xive
faire accepter l'idée que seul le roi a le droit de lever des tailles pour garantir
13. L. Scordia, « Le roi doit vivre du sien », La théorie de l'impôt en France (xiiie
- xve siècle), Paris,
Institut d'Études augustiniennes, 2005 ; J. H. Henneman, Royal taxation in fourteenth century France.
The development of war financing (1322-1356), Princeton, Princeton University Press, 1971.
14. A. Rigaudière, « L'essor de la fiscalité royale, du règne de Philippe IV (1285-1314) à celui de
Philippe VI (1328-1350) », Penser et reconstruire l'État dans la France du Moyen Âge (xiiie
- xve siècle),
Paris, CHEFF, 2003, p. 523-589. Après la défaite de Courtrai (1302), arguant que son royaume
est en grand danger, il convoque lui- même son arrière- ban et lui demande l'aide sur le fondement
de l'urgence, en dehors des quatre cas féodaux traditionnels.
15. F. Garnier, « L'impôt d'après quelques traités fiscaux (xive
fiscal en Europe, dir. L. Ayrault, F. Garnier, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 64-114.
16. D. Sassu- Normand, « D'un État domanial à un État fiscal ? Réexamen de quelques documents
financiers de Philippe VI », Cultures fiscales en Occident du xe
au xviie
. Dans cette évolution, le règne de Philippe IV
, que les légistes royaux justifient à partir de
. Si l'auteur du Songe
siècle, les légistes cherchent à
- xvie siècles) », Histoire du discours
siècle, Études offertes à Denis
Menjot, Toulouse, PUM, 2019, p. 117-130.
17. É. De Trémaugon, Le songe du vergier, édité par M. Schnerb- Lièvre, Paris, Éditions du
CNRS, 1982, t. 1, p. 230-232 (chap. 135).
18. P. de Mézières, Songe du Viel Pèlerin, édition critique par J. Blanchard, t. 2, Paris, Droz,
2015, p. 1205-1206. Sur cet ouvrage majeur de la pensée politique française, v. D. M. Bell, Étude
sur le Songe du Vieil Pèlerin de Philippe de Mézières (1327-1405), Genève, Droz, 1955.
Contextes - Penser l'ancien droit public

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ancien droit public
