Contextes - Penser l'ancien droit public - 240

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Penser l'impôt direct sous l'Ancien Régime
puisqu'elle concerne environ les trois quarts du royaume. Quelle qu'en soit
l'assiette, le roi fixe chaque année le montant global de la taille, qui est ensuite
ventilé entre les généralités, les élections, les paroisses et, enfin, les taillables.
À chaque étape, l'impôt est réparti d'une manière arbitraire et approximative,
faute pour l'administration fiscale de connaître la valeur réelle des terres ou
des revenus. Ainsi, le contingent de chaque généralité est déterminé en fonction
de sa richesse supposée, tandis que l'intendant évalue selon les mêmes
critères le montant dû par chaque paroisse de sa circonscription. La quote- part
du taillable est ensuite fixée par les asséeurs et les collecteurs de la paroisse,
autrement dit par des particuliers auxquels l'État confie le soin d'apprécier les
facultés de chacun d'après les signes extérieurs de sa fortune. La répartition
doit donc être faite entre les contribuables « à proportion de leurs biens et de
leur industrie », comme le rappelle Domat46
évaluation indiciaire de la base imposable est source de nombreux abus47
. Loin d'être satisfaisante, une telle
. Avec
ce procédé de répartition, plus on s'éloigne du taillable, plus la connaissance
exacte de ses facultés contributives devient floue. Dans les paroisses, les plus
pauvres sont écrasés des impôts que ne paient pas les plus riches - le comte
de Boulainvilliers les appelle les « petits tirans »48
- grâce aux exemptions liées
à la détention d'un office ou, tout simplement, par la crainte qu'ils inspirent
aux asséeurs. En outre, si la technique de la répartition présente des avantages
pour l'État, en ce qu'il connaît par avance le rendement de l'impôt, elle est
source de profondes inégalités car elle crée des écarts de taux d'une année à
l'autre et entre les paroisses.
À la fin du xviie
siècle, deux auteurs vont chercher à rendre l'impôt royal
plus juste. Connu comme étant l'un des fondateurs de la science économique,
Pierre Le Pesant de Boisguilbert, lieutenant- général civil au bailliage de Rouen,
réfléchit à la taille, dont il dénonce les abus avec force dans deux ouvrages, Le
détail de la France (1695) et Factum de la France (1707). Le juriste normand
46. J. Domat, Le droit public..., op. cit., p. 107.
47. K. Deharbe, « L'impôt direct en Lyonnais aux xviie
et xviiie
siècles, Un reflet concret des
critiques portées contre la taille », Cahiers poitevins d'histoire du droit, t. 8-9, 2017, p. 292-322, en
livre un exemple bien documenté. V. également, C. Ambrosi, « Aperçus sur la répartition et la perception
de la taille au xviiie
siècle », Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. 8, 1961, p. 281-300 ;
G. Lizerand, « Observations sur l'impôt foncier sous l'Ancien Régime », Revue d'histoire économique
et sociale, t. 36, 1958, p. 18-26.
48. Il écrit que « l'orgueil, la jalousie, et l'intérêt propre, se sont emparés de tous les esprits, et il
n'est plus de paroisse dans les provinces où la taille est arbitraire, où il se trouve un certain nombre de
petits tirans, qui se déchargent de l'impôt autant qu'il leur est possible, et le rejettent sur les foibles et
les malheureux [...] les privilégiés nouveaux, seuls en état de soutenir les charges, s'en sont libérés aux
dépens du reste de la paroisse », H. de Boulainvilliers, Mémoires présentés à Mgr. Le duc d'Orléans,
Régent de France, t. 2, La Haye et Amsterdam, 1727, p. 142-143.

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