Contextes - Penser l'ancien droit public - 27

Soazick Kerneis
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militaire fût guidé par un livre, a fortiori lorsqu'il avait à trancher des affaires
particulièrement difficiles parce qu'elles concernaient un soldat tribal. L'origine
de la loi salique et celle des Bretons d'Armorique sont à chercher dans ces
règlements militaires qui étaient tout à la fois des instruments de bonne justice
pour le juge et des lois nationales, propres à forger un sentiment de commune
appartenance pour ceux qui en relevaient27
. D'une certaine façon, les lois dites
barbares sont un bel exemple de la logique casuistique propre au droit romain
et du rôle que tient l'exception dans la formation de la règle. Pour reprendre
l'expression de Yan Thomas, leur corpus se nourrit de la « stabilisation de
l'exceptionnel », tant il est vrai que c'est à travers les situations d'exception
que se forge la règle, lorsque la difficulté du cas rend la norme impérieuse28
.
Le concept de lois barbares doit donc être revisité et la remise en cause de
leur germanité immédiate a pu parfois conduire à une analyse contradictoire
qui surestimait leur romanité en en faisant des lois romaines comme les autres29
.
C'est oublier que les sentences retenues pour leur exemplarité l'avaient été parce
qu'elles avaient réussi à concilier les difficultés induites par la rencontre entre
des traditions normatives différentes. Qu'il s'agisse de l'ordalie, de la compensation
en argent, du wergeld, ou des règles particulières de succession, il ne faut
pas y chercher le relief de traditions ancestrales, ni y voir une forme de droit
proprement romain, mais bien plutôt des créations inédites consécutives à la
confrontation des normes30
. Les lois barbares ne campent pas dans un lointain
passé coutumier, elles sont des formes juridiques qu'il faut comprendre dans
le temps long de l'histoire.
La romanité tardive est décidément un moment crucial pour la compréhension
de l'ancien droit public. C'est alors que le rapport de force s'est inversé
et que le pouvoir militaire l'a emporté sur le pouvoir civil au point de s'imposer
dans les districts frontaliers comme l'autorité capable de dire le droit. Ce
renversement fondamental par rapport aux temps fondateurs de Rome entraine
une modification dans la représentation de la norme. Les lois dites barbares
entrent dans la catégorie des « lois données », des lois qui renouent avec un style
très ancien « si... alors », rédigées dans des termes simples en décalage avec la
27. S. Kerneis, J.-P. Poly, « La coutume, entre le ciel des idées et le gouvernement es hommes »,
Une histoire juridique de l'Occident iiie
- ixe siècles. Le droit et la loi, dir. S. Kerneis, Paris, PUF,
Nouvelle Clio, 2018.
28. Y. Thomas, « L'extrême et l'ordinaire. Remarques sur le cas médiéval de la communauté
disparue », Penser par cas, dir. J.-C. Passeron, J. Revel, Paris, EHESS, 2005, p. 46.
29. J.-P. Poly, « Le droit romain, les lois barbares et les fantasmes de la recherche. À propos d'un
ouvrage récent », Revue historique de droit français et étranger, 92, n° 2, 2014, p. 303-317
30. J. C. Scott, Homo Domesticus, op. cit., p. 261 parlant des barbares comme « jumeaux cachés
de la civilisation ».

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