Contextes - Penser l'ancien droit public - 279

Conclusions générales
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s'agit toujours de retrouver l'ordre là où le désordre menace. Les « cas difficiles »
n'en sont que les manifestations les plus visibles. Ils masquent la parenté qui les
unit aux cas qui le sont moins. Tous font peser sur les acteurs une contrainte
argumentative : mobiliser des instruments juridiques (grands concepts, principes,
règles, théories, modèles de raisonnements) pour produire une décision
qui doit se donner pour raisonnable et résister à la critique33
.
Les formalisations minimales du droit, parce qu'elles se donnent pour des
repères stables, permettent d'adosser la décision à une référence reconnue. Elles
contraignent dans le même temps les acteurs à trouver des raisons de s'en tenir
à ces repères ou, au contraire, d'introduire des distinctions. Ces formalisations
minimales sont un gage de sécurité juridique : elles concrétisent l'espoir que
la raison juridique ne soit pas abandonnée aux caprices de l'arbitraire. Aussi
précaire soit leur stabilisation, les formes phénoménales du droit emportent
donc toujours une promesse de rationalité. Elles peuvent servir de masque et
permettre au droit de se replier sur lui- même : les gloses de l'arrêt Blanco sont
symptomatiques, de même que la non- motivation des décisions de justice
s'appuie sur un fondement mystique pour maintenir une rationalité de façade
(la structure formelle de la décision) mais dérober la raison des juges à toute
critique. Lorsqu'elles ne sont pas subverties par de telles clôtures, les raisons
du droit nécessitent un minimum de publicité, comme le soulignait déjà Kant
dans son Projet de paix perpétuelle34
. Cette publicité est le corrélat nécessaire
de la formalisation : la forme de référence est la condition d'une évaluation de
la conformité. Elle confère une autorité à l'énoncé qui s'en prévaut et le rend
justiciable d'une évaluation critique, selon les canons de son époque ou à partir
de critères moins historiques.
Qu'il s'agisse de propositions analytiques, de méta- concepts ou de controverses
historiographiques, interroger les raisons d'une décision n'a rien d'un
anachronisme. Ce n'est jamais qu'un prolongement de la réflexion juridique
33. V. les discussions nourries, depuis Hart, concernant la défaisabilité en droit, notamment :
J. Dubucs, « Les arguments défaisables », Hermès, 15-16, 1995 (en ligne), p. 271-290 ; T. Herman,
« Le courant du Critical Thinking et l'évidence des normes : réflexions pour une analyse critique de
l'argumentation », A contrario, 16 (L'argumentation au carrefour des disciplines : sciences du langage et
sciences sociales, dir. Raphaël Micheli), 2011-2, p. 41-62 ; S. Goltzberg, Théorie bidimensionnelle
de l'argumentation : présomption et argument a fortiori, Bruxelles, Bruylant, 2012 ; M. Carpentier,
Norme et exception. Essai sur la défaisabilité en droit, Paris, Fondation Varenne, 2014 ; Droit et
Philosophie, 9/1 (Droit et indétermination, dir. M. Carpentier), 2017 (en ligne).
34. « Chaque prétention juridique doit pouvoir être rendu publique ; et comme il est très aisé de
juger dans chaque cas, si les principes de celui qui agit supporteroient la publicité, cette possibilité
même peut servir commodément de criterium purement intellectuel, pour reconnoitre, par la raison
seule, l'injustice d'une prétention juridique. » E. Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. de l'allemand
par J. Tissot, Paris, Jansen et Perronneau, 1796, p. 109-110.

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