Contextes - Penser l'ancien droit public - 97

François Saint- Bonnet
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de l'empire de la vérité sur les hommes »8
. Si ces principes n'avaient en effet
pour vocation que d'inspirer philosophiquement et nullement d'obliger juges
du fond et législateurs faute de contrôle de constitutionnalité effectif - on
exceptera le cas de deux arrêts isolés de la Cour de cassation de 1851 exhumés
naguère et les bien dociles Sénats des deux Empires - il se trouve qu'ils ont réellement
joué ce rôle. La lecture des réquisitoires, des plaidoiries et, évidemment,
des débats parlementaires offre des ressources quasi inépuisables pour penser le
droit des libertés à travers le prisme de son histoire (s'il m'est permis une petite
appréciation d'ordre corporatiste, on éprouve davantage de plaisir à entendre
Constant, Royer- Collard, Laboulaye, Jaurès ou Briand croiser le fer pour
défendre la liberté que d'écouter les pâles objections qu'opposent aujourd'hui
en commission parlementaire soit des défenseurs un peu dogmatiques de
principes dont ils ignorent l'histoire, soit les contempteurs méprisants de
libertés gagnées au prix d'épiques batailles). Il y a beaucoup à apprendre, à
comprendre, à méditer de l'étude de cette histoire en contre- plongée, non
celle des textes constitutionnels et des déclarations générales que donnent les
autorités en position de force - leur étude a déjà été largement réalisée - mais
celle de ces petits combats du quotidien que mènent justiciables et avocats
qui pour la liberté de créer une nouvelle congrégation, qui pour défendre
quelques idées critiques dans un journal, qui pour que telle femme contrainte
de travailler comme « fort des halles » puisse s'habiller en homme, etc.
Outre la moisson des arguments nichés au creux des recueils, répertoires
et archives parlementaires, l'approche historique permet de repérer que le
niveau de protection des libertés n'est jamais sans rapport avec celui des périls
encourus par un pays. Plus celui- ci s'élève, plus celui- là fléchit. De sorte qu'il
est difficile de conclure de manière systématique que quand les autorités se
font plus envahissantes, impatientes ou intransigeantes, cela signifie nécessairement
que l'on verse dans le despotisme. L'exemple des quatre années de la
Première Guerre mondiale en fournit une illustration qui invite à réfléchir :
les sacrifices demandés par les gouvernements successifs et consentis tant
bien que mal par des citoyens au patriotisme ardent se situent à un niveau
qui dépasse ce que l'on peut imaginer de la part d'un peuple. Quand un
éminent juriste en venait à déplorer que la loi de 1849 sur l'état de siège fût
régulièrement violée, il s'empressait d'en conclure qu'il ne saurait être question
de critiquer les « mesures excellentes » (Joseph Barthélemy) adoptées par les
8. É. Boutmy, « La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et M. Jellinek », Revue française
d'histoire des idées politiques, t. 17, 1902, p. 415 et s. repris dans le recueil d'écrits de Boutmy (que
nous utilisons) intitulé Études Politiques, Paris, Armand Colin, 1907, p. 139.

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