Droit des affaires - Le contrat au XXIe siècle - 194

194 LE CONTRAT AU XXIE SIÈCLE

adopte ? On peut bien sûr estimer que, conçus pour et par des professionnels aguerris, ces contrats ont pour vocation de prospérer en dehors du
Code civil : n'est-il pas le Code de la Cité, celui qui concerne d'abord les
personnes ordinaires, normalement aptes à se satisfaire des grands contrats
nommés et de la réglementation établie ? Dans cette vue, on mettra côte à
côte un droit commun et un droit spécial des contrats, ce dernier allant audelà des contrats nommés pour désigner les contrats formés entre professionnels. Pourquoi pas ? Du reste, les mêmes qualités d'autonomie qui ont
permis à ces contrats de s'établir et de conquérir une position de force dans
la pratique devraient également les assurer de se maintenir, fût-ce à l'écart
des sentiers battus.
Avant d'opter pour ce maintien à l'écart des grandes routes contractuelles,
il convient de prendre garde au fait que les positions juridiques ne sont
jamais acquises. Dans son expansion, cette pratique contractuelle a toutes
chances de changer de statut en se démocratisant : on peut pronostiquer
qu'elle quittera les rives professionnelles où elle s'est premièrement épanouie pour descendre peu à peu vers le commun des contractants. On le
constate tous les jours, les contrats formés entre parties professionnelles et
profanes, voire entre profanes, suivent de moins en moins la structure ordinaire des grands contrats nommés : ils incorporent de plus en plus nettement les développements ouverts par les contrats formés entre professionnels. C'est dans des prêts consentis à des particuliers, indexés sur le LIBOR,
qu'émerge désormais la thématique des intérêts négatifs3 ; et de façon plus
générale, les techniques de pointe de la gestion financière s'insinuent
aujourd'hui dans la gestion des patrimoines les plus modestes, à la
demande de leurs titulaires.
Dans ces conditions de diffusion, comment s'assurer que le droit spécial des
contrats demeure à l'écart du droit commun, sinon en formant le vœu
pieux qu'il ne sorte pas d'un domaine qu'après tout, nul ne lui a réservé ?
115. Et pour demain, quels efforts ? Assurément, une autre démarche consisterait à faire l'effort de prendre cette pratique professionnelle au sérieux, en
dépit des perspectives redoutables qu'elle ouvre dans la redéfinition de la
sphère contractuelle. On a toujours su que le contrat n'avait pas de raisons
impératives de se conformer à la figure de l'échange ; mais on pouvait faire
semblant de l'ignorer tant que les produits atypiques n'étaient ni trop nombreux, ni trop répandus. Ce qui nous gêne désormais tient au fait que ces
contrats sont de plus en plus emblématiques de la modernité, au point de
tenter les parties les plus innocentes. Ils présentent des opérations
3. Cass. 1re civ., 25 mars 2020, nº 18-23803, FS-PB.

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