Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 114

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

le bureau de l'Assemblée nationale. Ni les questions liées à l'accord des États, ni
celle de la sincérité du vote ne sont posées dans ce projet non abouti. Mais la thématique du suffrage universel comme source du pouvoir a été formalisée en
incluant les Français de l'étranger. Nous la retrouverons lorsque Ch. De Gaulle
reviendra au pouvoir en 1958. Par quels mécanismes institutionnels et avec quels
acteurs ces éléments de sa doctrine vont-ils être traduits dans les faits lors du référendum approuvant la Constitution de la Ve République en septembre 1958 ?
345. Lors de l'examen, début juin 1958, du projet de loi constitutionnelle,
qui vise à autoriser le chef de Gouvernement, Ch. De Gaulle, à établir un projet
de Constitution une minorité de l'Assemblée tente de maintenir le rôle du Parlement, en l'impliquant dans l'approbation de ce projet. Le Gouvernement s'oppose à cette initiative mais dépose une lettre rectificative85 : la future Constitution
sera examinée par un Comité consultatif, dont les deux tiers seront nommés par
les commissions du Parlement, le dernier tiers étant composé d'experts choisis par
le Gouvernement. La concession est faible : ce Comité ne sera réuni qu'à la
demande de l'exécutif, il n'émet que des avis et ses débats ne seront pas publics86.
Le pouvoir législatif, assimilé au régime des partis, n'est donc associé que de façon
consultative à l'élaboration des nouvelles institutions. Le suffrage universel direct
est la seule source de la légitimité.
346. L'élaboration de la Constitution va être le fait de deux émanations de
l'exécutif : un comité d'experts constitué de hauts fonctionnaires et le comité
interministériel, présidé par Ch. De Gaulle où le rôle du garde des Sceaux, Michel
Debré, sera déterminant. Hors de l'exécutif et du Comité Consultatif, une seule
institution, le Conseil d'État, émet un avis. L'exécutif peut y compter sur l'appui
de René Cassin, le vice-président, l'un des premiers Français à avoir rejoint
Londres et dont l'expertise juridique a été précieuse pendant la guerre ; il sera
d'ailleurs associé aux réunions qui se tiennent à Matignon avant la saisine officielle de l'institution qu'il préside87.

§ 2. PENSER SIMULTANÉMENT LES MARGES
347. Définir qui sont ceux qui s'expriment au nom du suffrage universel
revêt donc un intérêt particulier dans le fonctionnement gaulliste de l'État. Première étape : une nouvelle fois l'universalité de la citoyenneté est affirmée : « Sont
électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français
majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques88 ». Mais les
débats qui ont émaillé son histoire depuis la Révolution française, où ont été distingués les citoyens actifs et passifs89, montrent que les constructions sociales
85. Assemblée nationale, Annales, Documents parlementaires, 1958, lettre rectificative au projet
de loi constitutionnelle n° 7238, séance du 2 juin, p. 1830.
86. F. Goguel, 1959, p. 67-86, le secret des débats est levé par la publication, en 1987 et 1988, de
Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution.
87. A. Prost, J. Winter, 2011, p. 335.
88. JORF, Lois et décrets, 1958, 5 octobre, Constitution de 1958, article 3, p. 9152.
89. Seuls les premiers, ont la capacité de représentation. Définis par la loi du 11 août 1792, ce
sont des hommes de 21 ans et plus, domiciliés et imposés. En sont donc exclus les femmes, les
domestiques, les non-domiciliés, les non-imposés ou encore ceux qui paient une contribution directe
inférieure à la valeur locale de trois journées de travail.

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