Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 117

Histoire du vote

99

sur les incidences politiques d'une telle mesure car en l'absence d'un précédent les
conséquences sont imprévisibles103 ». L'éventualité de demandes de réciprocité
susceptibles d'émaner de pays étrangers amène à écarter la participation des
Français de l'étranger car « le Gouvernement français accepterait difficilement
que les colonies étrangères en France participent aux élections de leurs pays respectifs et se livrent à cette occasion à une propagande ou à des manifestations
politiques104 ». La décision est donc renvoyée au niveau politique, à savoir le
ministre des Affaires étrangères, après qu'ait été rappelée l'impossibilité de se prononcer sur l'orientation des votes qui seront émis par les Français de l'étranger et
la préférence de l'administration pour le vote par correspondance. La tonalité
n'est pas favorable.
354.  Mais dans les jours qui suivent une vive protestation va s'exprimer,
s'appuyant sur une argumentation nouvelle. Elle émane des trois sénateurs qui,
depuis le début de la IVe  République, représentent les Français de l'étranger105.
Alors que les « hommes et les femmes d'Afrique du Nord et d'Afrique noire
seront appelés à prendre part au vote », les Français de l'étranger ne le pourraient
qu'en venant en France, ce qui ne sera possible que pour peu d'entre eux. Ces
Français seront donc, de fait, exclus du référendum. Le message est relayé dans
« La Voix de France », la publication de l'UFE. La participation des peuples
colonisés au référendum conduirait à humilier les Français de l'étranger alors
qu'il est légitime qu'ils s'expriment car ce sont « des Français à part entière » :
« Ils auraient eu le droit de se sentir profondément humiliés s'ils avaient été tenus
à l'écart des urnes auxquelles sont invités des millions d'hommes et de femmes des
territoires d'outre-mer pour la plupart illettrés.106 »
355.  Les marges de la métropole, qu'il s'agisse des Français de l'étranger ou
des colonisés doivent être pensées simultanément. Les deux sont nécessaires à la
France pour assurer une place sur la scène internationale, mais les seconds ne
peuvent pas être traités plus favorablement que les premiers. Après la Grande
Guerre, les Français de l'étranger ont été un substitut qui doit permettre à la
France d'exercer son influence dans le monde alors que de nouvelles extensions de
son empire colonial ne sont pas à l'ordre du jour. Après le second conflit mondial,
alors qu'il s'agit de refonder la République et de rendre à la France son rang de
puissance mondiale, la réactivation des liens avec les Français de l'étranger est
complémentaire du rôle joué par l'Union française. Elle passe par la représentation au Parlement mais bute sur l'impossibilité du suffrage universel hors des
frontières. L'octroi du droit de vote aux peuples colonisés repose maintenant cette
question. C'est bien dans la relation à autrui, que se construit l'identité107, en
l'occurrence celle entre colonisés et émigrés. Alors qu'il s'agit de se prononcer sur
une Constitution profondément modifiée, les uns vont-ils en être les électeurs et
les autres non ?
356.  Pour l'UFE le choix est clair : c'est « une occasion inespérée de s'associer à l'œuvre de redressement entreprise dans la métropole » et de resserrer les
103. Archives MAE, M. Couve de Murville, 12 QO/353, 9 juillet 1958.
104. Archives MAE, Direction juridique, 1DFJ/155, 9 juillet 1958.
105. Ils sont élus selon des modalités qui ne reposent pas sur le suffrage universel que nous
analyserons.
106. La voix de France, n° 130, juillet-août 1958, p. 1343.
107. R. Bessis, 2004.

978-2-275-08392-6__DOCFILE__978-2-275-08392-6_corpus.indd 99

17/02/2021 14:32:34
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique
