Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 183

Construire un système de représentation

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556. Les titres, aussi prestigieux et pertinents soient-ils, ne suffisent pas pour
que l'identification fonctionne. Une légitimité politique locale doit se construire
dans le temps. « Un système d'intelligence et de sentiment »60 en fonde la cohésion, même si la profondeur historique est réduite, la transmission familiale du
mandat ne jouant pas, et que la référence partisane est unique. Au-delà de ces
facteurs de cohésion des spécificités existent. Les prises de position des délégués
d'appréciation sur l'organisation de la France libérée vont en être le révélateur.

§ 5. LES INTÉRÊTS DE LA FRANCE
557. La question de l'enseignement, qui avait occupé une place majeure dans les
débats de la IIIe République, revient rapidement à l'ordre du jour. Les interventions
d'Anselme Carrière montrent la persistance des oppositions. Lors du débat sur la
politique étrangère61 il demande que les missions qui contribuent à la dimension « spirituelle et morale » du rayonnement de la France, soient soutenues. Appel réitéré lors
du débat sur la « France d'Outre-mer » car les colonies « doivent leur prospérité non
seulement aux armées et aux efforts d'ordre économique, mais aussi à nos missionnaires qui ont su faire aimer la France »62. Position qui s'applique également à la
métropole : l'enseignement privé confessionnel devrait aussi y être subventionné,
contrairement à la situation qui prévalait avant la guerre. La controverse sur la séparation des églises et de l'État réapparaît donc en filigrane. On ne peut s'étonner que le
seul ecclésiastique de l'ACP y soit impliqué. La question n'avait-elle pas été anticipée
par le président de la Ligue des droits de l'Homme d'Égypte lorsqu'il avait protesté
auprès du président de l'Assemblée contre la désignation du père Carrière par un
nombre très limité des membres du Comité ? Il a, disait-il, « fait vœu d'obéissance, il
a des supérieurs » comment peut-on être sûr « qu'il pensera toujours français et représentera toujours uniquement les intérêts de la France ?63 »
558. Il n'existe donc pas de vision unanime des intérêts de la France parmi
les délégués. La fusion des traditions, mise en avant par l'exécutif de Londres,
pour pérenniser l'influence française dans le monde, ne s'exprime pas dans les
débats. À côté des références catholiques, celles renvoyant à la Révolution vont
être affirmées par la voix d'Albert Guérin. C'est à l'occasion du débat sur le budget des Affaires étrangères qu'il pose la question du rapport entre le peuple et
l'exécutif. La nomination de délégués du CNF chargé de coordonner l'action des
Comités à l'étranger avait induit une interrogation sur la légitimité à s'exprimer
au nom de la France libre. Malgré les revendications des Comités locaux, la situation était restée, selon eux, insatisfaisante. La défiance récurrente entre les
-Français de l'étranger et l'administration va s'exprimer publiquement à Alger.
Aussi Albert Guérin rappelle-t-il que, sous Vichy, les représentants de l'exécutif
ont trahi la France, qui a été sauvée par le peuple :
« Ceux qui avaient la charge de représenter la France, nos ambassadeurs, nos ministres, nos consuls [...] abaissaient le drapeau de la France
60. A. Farge, 1997, p. 122.
61. Assemblée consultative provisoire, Annales de l'Assemblée consultative provisoire, 1943,
25 novembre, p. 16.
62. Assemblée consultative provisoire, Annales de l'Assemblée consultative provisoire, 1944,
15 janvier, p. 15.
63. Archives nationales, Assemblée nationale, C15260, dossier 505.

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