Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 193

Construire un système de représentation

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584. Pour l'exécutif des élections doivent se dérouler dans ces pays avec l'accord du Sultan pour le Maroc et du Bey pour la Tunisie car « il s'y attache un
caractère de souveraineté »101, or les protestations émises au Maroc montrent clairement que ce pays n'est pas prêt à collaborer pour permettre la tenue de ces
opérations sur son territoire.
Arguments qui ne sont pas entendus par l'Assemblée nationale constituante.
Emmanuel d'Astier de la Vigerie joue alors un rôle clef. Président du groupe de
l'Union Républicaine et Résistante, qui regroupe des élus attachés aux idéaux de
la Résistance mais de tendances politiques diverses, il préside également la commission de l'intérieur qui est en charge de ces textes. Selon lui il n'est pas possible
de revenir en arrière. Des représentants ont été élus ; il faut maintenir le statu
quo102. Nous retrouvons la logique du précédent : pour légitimer une décision qui
pourrait être jugée arbitraire, l'existence d'une mesure analogue, en l'occurrence
l'existence d'une représentation par le passé, suffit à la justifier. De plus l'accent
est mis sur l'injustice qui priverait « ces importants éléments de la métropole de
toute représentation »103. Par contre il n'est pas tenu compte des relations qui
unissent la France et ces deux pays et des oppositions qui s'y sont exprimées. Le
statut des territoires sur lequel vivent ces Français ne peut les empêcher de voter :
« Il s'agit de territoires soumis au protectorat français mais en même
temps soumis à la suzeraineté du Sultan ou du Bey selon qu'il s'agit du
Maroc ou de la Tunisie. Par conséquent les intérêts qui doivent être représentés à l'Assemblée nationale sont essentiellement ceux des ressortissants français installés dans ces protectorats.104 »
L'existence d'un gouvernement dans ces deux pays, qualifiée de « suzeraineté »
- la connotation féodale tombe à propos - n'est pas jugée suffisante pour empêcher
la représentation d'intérêts français. Leur contribution au redressement économique de la France prévaut sur ce pouvoir politique dont il est fait peu de cas.
585. Le désaccord avec l'exécutif, même s'il ne s'exprime pas en séance
publique, car l'Assemblée nationale constituante est souveraine en matière de
législation électorale, est total. Pour celui-ci la loi qui vient d'être votée « doit être
rapportée comme contraire aux traités internationaux »105 qui reconnaissent la
souveraineté de ces deux pays. Le droit à représentation des résidents français
n'est pas en question mais des opérations de vote ne peuvent se dérouler sur un
territoire sans que ceux qui y détiennent le pouvoir politique, en l'occurrence le
Sultan ou le Bey, donnent leur accord. Les protestations à nouveau émises par le
sultan du Maroc face à ce texte sont relayées par le ministère des Affaires étrangères. Et dans les jours suivants une nouvelle proposition de loi est déposée à
l'Assemblée nationale par E. d'Astier de la Vigerie106. Il renverse sa position. Le
précédent est oublié. La loi adoptée n'entrera en application qu'après un décret
101. Archives nationales, G. Bidault, 457 AP/15, 30 mars 1946, ministère des Affaires étrangères,
secrétariat général.
102. Archives nationales, Assemblée nationale, C/15291, 20 mars 1946, commission de l'Intérieur.
103. Assemblée nationale constituante, Annales, Documents parlementaires, 1946, 5 avril, rapport
de M.J. Biondi au nom de la commission de l'Intérieur, n° 764, p. 748.
104. Assemblée nationale constituante, Annales, 1946, volume IV, 5 avril, p. 1545.
105. Archives nationales, R. Cassin, 382 AP /75.
106. Assemblée nationale constituante, Annales, Documents parlementaires, 1946, 26 avril,
proposition de loi n° 1225, p. 1217.

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