Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 200

182

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

multiplicité des statuts territoriaux au sein de l'Union française, auxquels
s'ajoutent « les citoyens français résidant en Tunisie, au Maroc, en Indochine et à
l'étranger ». Pour ces derniers il s'agit de trouver une traduction du principe
constitutionnel selon lequel le Conseil de la République est élu par les collectivités
communales et départementales, au suffrage universel indirect.
603.  Le suffrage indirect suppose l'existence d'un échelon local, qui doit
lui-même avoir été élu. La définition de ce niveau local va être au cœur des
débats. Peut-on, malgré son appellation, qualifier ainsi l'Assemblée nationale
élue au suffrage universel ? Cette possibilité est ouverte par la Constitution132
puisque l'Assemblée peut élire à la proportionnelle une partie des conseillers de
la République. Mais le Gouvernement et le rapporteur de la commission du
suffrage universel refusent de donner un tel « privilège » de l'Assemblée au
détriment des assemblées communales et départementales. Il pouvait se justifier lors de la mise en place de la nouvelle République, mais ne le peut plus
lorsque les institutions fonctionnement normalement133. Au-delà de cet argument, le départ des communistes du Gouvernement, qui étaient à l'origine de
cette innovation, explique son rejet, car il conduisait à renforcer leur groupe.
Affirmer comme critère de choix la « compétence », ce qui ouvre la voie au jeu
des partis, plutôt que la proportionnelle, a montré une efficacité certaine pour
éliminer les communistes de la représentation des Français de l'étranger du
Maroc et de la Tunisie. C'est dans cette voie que va être cherchée la solution
conciliant création d'un niveau local et reproduction des équilibres politiques
de la majorité gouvernementale.
604.  La sortie des communistes du Gouvernement et de la majorité parlementaire en 1947, et l'exclusion des quelque cent cinquante députés élus sous
cette étiquette de toutes les coalitions parlementaires va avoir une autre conséquence : faire voler en éclat le consensus sur la légitimité de la représentation des
protectorats et des Français de l'étranger. Les communistes soutenant les nationalistes malgaches et magrébins, dénoncent la représentation des Français résidant
dans les protectorats comme un « nouvel outrage à la dignité de ces peuples »134.
Et rappellent que si elle était malgré tout mise en place, elle pourrait donner lieu
à une demande de réciprocité, jugée inacceptable par le ministre des Affaires
étrangères, G. Bidault, pour qui la souveraineté d'un pays exclut que des étrangers exercent des droits politiques sur le territoire français : « Il est capital que
nous conservions notre pleine souveraineté sur notre territoire, ce qui ne serait
plus possible si des centaines de milliers d'étrangers vivant en France, exerçaient
à leur tour des droits politiques.135 »
132. Conseil constitutionnel, Constitution du 27 octobre 1946, article 6. « La durée des pouvoirs
de chaque assemblée, son mode d'élection, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et
incompatibilités sont déterminés par la loi. Toutefois, les deux Chambres sont élues sur une base
territoriale, l'Assemblée nationale au suffrage universel direct, le Conseil de la République par les
collectivités communales et départementales, au suffrage universel indirect.  Le Conseil de la
République est renouvelable par moitié. Néanmoins, l'Assemblée nationale peut élire elle-même à la
représentation proportionnelle des Conseillers dont le nombre ne doit pas excéder le sixième du
nombre total des membres du Conseil de la République. », conseil-constitutionnel.fr.
133. Assemblée nationale, Annales, Documents parlementaires, 1948, 15 juillet, n° 4953, rapport
de M. Bardoux au nom de la commission du suffrage universel, p. 1569.
134. Assemblée nationale, Annales, Débats parlementaires, 1948, 18 août, p. 5877.
135. Assemblée nationale, Annales, Débats parlementaires, 1948, 18  août, ces propos sont
rapportés par M.J. Pronteau, député communiste, p. 5878.

978-2-275-08392-6__DOCFILE__978-2-275-08392-6_corpus.indd 182

17/02/2021 14:32:40
http://www.conseil-constitutionnel.fr
Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique
