Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 47

Histoire du lien

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souverain, tandis que les autres théoriciens du xvie, puis le siècle des Lumières,
voient dans la relation au territoire un critère plus déterminant.10 »
107.  Ainsi en 1697, lorsque Louis XIV décide de taxer tous les étrangers installés dans le Royaume, une question particulière va-t-elle se poser : comment traiter les « citoyens » résidant à l'étranger qui reviennent s'installer dans le Royaume ?
Le terme de « citoyen » correspond alors au contenu du mot, apparu ultérieurement, de « nationalité », puisque c'est « une catégorie générale d'appartenance, qui
comprend hommes, femmes et enfants, nobles et roturiers, ayant un statut qui les
oppose aux étrangers »11. Doivent-ils à leur retour en France demander des lettres
de naturalité ? Ces actes de droit administratif émanant des secrétaires du roi permettent à l'étranger d'échapper en particulier au droit d'aubaine, droit d'origine
féodale qui limitait la possibilité pour les étrangers d'hériter et de transmettre leurs
biens, ceux-ci revenant alors à la Couronne. Ce serait assimiler deux catégories, les
« citoyens » résidant à l'étranger qui reviennent s'installer dans le Royaume et les
étrangers qui y résident.  Impossible, pour Henri François d'-Aguesseau, avocat
général au Parlement de Paris, qui s'exprime à l'occasion d'une décision judicaire
prise à la fin du xviie siècle concernant « le fils d'un F
- rançais né à l'étranger, où son
père est établi ». Il doit être considéré comme Français lorsqu'il revient s'établir en
France car « La nature leur ayant une fois donné la qualité de citoyen, qui n'a été
suspendue que pendant un temps, elle revit aisément, au lieu que la qualité manquant à l'étranger, il y a beaucoup plus de difficultés pour la lui faire acquérir. »
D'autant que : « La patrie, comme une bonne mère, tend toujours les bras à ses
enfants et les invite à rentrer dans leur devoir. »
108.  C'est en réactivant une catégorie d'actes apparus au xvie siècle, les déclarations de naturalité, que la solution va être trouvée. Utilisées par François 1er
lorsqu'il perd un territoire, telle la Flandre au profit de Charles Quint, elles lui
permettent de garder un lien avec des personnes vivant dans cette province. En
effet ces actes attestent que, même si ces habitants résident désormais en dehors du
Royaume, ils en restent « citoyens de droit ». De ce fait ils peuvent revenir s'y installer avec le statut de « régnicole », sujets de la Couronne française, au même titre
que ceux nés et demeurant dans le Royaume, et échapper au droit d'aubaine. Ces
déclarations sont aussi, comme le souligne Dubost, « un moyen subtil d'affirmer
les prétentions territoriales du roi de France »12. La défaite est mise entre parenthèses et le lien au roi est affirmé indépendamment du territoire qu'il contrôle.
109.  Il existe donc de « faux étrangers », dont la naissance et le séjour à
l'étranger ont suspendu la qualité de Français mais ne l'ont pas modifiée. À leur
retour en France, ils la retrouvent sous réserve d'une procédure spécifique qui
reconnaît un état préexistant. Le Roi, père de ses sujets, les réintègre parmi eux en
les adoptant. Ils doivent alors « vivre et mourir » en France, c'est-à-dire « s'identifier au Royaume et instaurer une relation de fidélité avec le roi »13.
110.  La France comme mère et le Roi comme père : la relation de parenté
s'appuie sur les deux genres. Il s'agit bien, par la filiation, d'effacer les liens préexistants et qui l'ont été à l'occasion de « la naissance accidentelle » à l'étranger
10. J.-F. Dubost, P. Sahlins, 1996, p. 520.
11. P. Sahlins, 2000, p. 1082
12. J.-F. Dubost, P. Sahlins, 1999, p. 520.
13. P. Sahlins, 2000, p. 1105.

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