Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 74

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

et sur le développement économique du pays par rapport à la place de l'Allemagne ou de l'Angleterre, l'intérêt porté aux relations culturelles est amplifié. Ce
« messianisme français »130 amène le Gouvernement à soutenir les acteurs privés
même si une politique culturelle propre à l'État républicain se met en place.
211. Face à cette position les députés de gauche demandent de sortir de la
dépendance vis-à-vis des ordres religieux missionnaires pour assurer le rayonnement et l'influence de la France dans le monde, et à avoir : « Comme tout pays
dont les institutions reposent sur des fondements laïcs, à l'intérieur comme à l'extérieur, une politique laïque, et de n'attendre aujourd'hui son rayonnement intellectuel et moral que de la diffusion de ce principe de laïcité.131 »
212. Mais au-delà de cette demande, le texte proposé vise, pour les défenseurs de la laïcité « à assurer en France le recrutement, sous une forme déguisée,
en attendant qu'il soit public, de l'enseignement congréganiste »132 et donc à
remettre en cause la loi de 1904. Pour reprendre la formule de Rancière, ils
construisent « le rapport entre des choses qui n'ont pas de rapport », et font
« voir ensemble comme objet de litige le rapport et le non rapport »133. Pour eux
les conséquences de la réouverture des noviciats, au nom de la politique internationale, sur la situation de l'enseignement en France, ne peuvent être passées
sous silence. Alors que pour les députés de droite, qui soutiennent le Gouvernement, les conséquences en termes de politique intérieure n'interviennent pas
dans la discussion : le prestige de la France est au-dessus de toute considération
religieuse ou politique.
213. Dans ce débat, marquant un profond clivage de la société française au
début du xxe siècle, l'UFE, malgré sa volonté affichée de se tenir à l'écart de toute
position politique, soutient donc les partisans d'un enseignement congréganiste
au nom de la reproduction des « colonies » qui ne peut passer que par cet enseignement. Elle préconise le changement du modèle d'enseignement. La question
principale n'est plus d'accorder des bourses en France pour assurer la scolarité
des enfants français de l'étranger. La transmission de la culture nationale, qui se
fait d'une génération à l'autre par l'école134, peut désormais se dissocier du territoire. Mais rester Français représente un sacrifice, non par le sang versé, mais en
termes financiers, car l'éducation dans un établissement français génère des coûts.
Cet attachement à la patrie qui permet à la France de se projeter dans une localité
qui dépasse ses frontières, doit-il être financé par la solidarité nationale ? Le débat
va prendre des formes multiples, et il se poursuit de nos jours, par exemple au gré
de l'examen des projets de loi de finances par le Parlement. Nous y reviendrons.
214. C'est la même thématique du « coût d'être français » qui est déclinée
dans les débats sur la protection sociale. Des « droits fondamentaux d'un genre
nouveau »135 sont accordés en France par l'État au titre de la citoyenneté sociale,
« mécanisme de solidarité universelle »136 qui concerne virtuellement tous les
citoyens. Dès lors, comment en exclure une catégorie de Français ? Pour l'UFE, la
130. A. Salon, 1983, p. 15.
131. Chambre des députés, Annales, 1929, 7 mars, Camille Riffaterre, p. 1022.
132. Ibid.
133. J. Rancière, 1995, p. 65.
134. M. Détienne, 2010, p. 103.
135. E. Balibar, 2010, p 153.
136. E. Balibar, 2010, p. 28.

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