Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 155 - Les Français de l'étranger comme catégorie politique - 88

LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER COMME CATÉGORIE POLITIQUE

263. À New York et à Londres une autre catégorie soumise au risque est
évoquée, « les illégaux », « les clandestins », qui peuvent être expulsés à tout
moment. Leur existence est connue parmi leurs compatriotes, ils vivent dans la
communauté française car ils travaillent dans des bars, des restaurants français,
font du baby-sitting dans des familles françaises, donnent des cours de français et
participent aux évènements organisés par les associations françaises. Mais n'ayant
pas d'existence officielle pour les autorités du pays, ils ne peuvent être inscrits au
registre de population tenu par les services diplomatiques, car cela suppose de
disposer d'autorisations de séjour. Toutefois ils peuvent être connus du consulat
car ils fréquentent des rencontres organisées à son initiative et ou parce qu'ils se
sont adressés à lui pour obtenir une assistance, par exemple des conseils pour
régulariser leur situation. Ils sont bien à la marge du « cosmopolitisme global de
prospérité et de privilèges »15 dont ils tirent cependant pour partie leurs moyens
d'existence précaire. Ils n'en sont donc pas ignorés. Ainsi un autre décalage existet-il au sein des Français de l'étranger, lié aux relations entre ceux munis des
-autorisations de séjour et de travail, et ceux qui dépendent d'eux pour vivre clandestinement dans le pays.
264. À l'inverse des situations où le risque est présenté comme une caractéristique majeure de l'émigration, les salariés des grands groupes pour lesquels ils
travaillent à l'étranger, ainsi que les fonctionnaires internationaux, placent leur
existence sous le signe de la mobilité. Leur capacité d'adaptation repose alors sur
leur capacité à alterner des postes en France avec d'autres dans des pays étrangers
très divers : « J'ai fait toute ma carrière chez EDF dans les activités internationales, tantôt à Paris tantôt à l'étranger. J'ai séjourné quinze ans dans trois pays
très différents les uns des autres en Afrique, en Asie et en Europe. » (François)
De même les parcours professionnels des fonctionnaires internationaux,
dont l'emploi est garanti, sont placés sous le même signe d'une mobilité géographique conduisant à enchaîner les migrations entre les continents. Ch. Monier qui
a été en poste dans quatre pays situés dans trois continents, l'Australie, l'-Europe
l'Amérique, illustre ce type de parcours.
265. Que l'émigration soit placée sous le signe du risque ou de la mobilité,
elle peut s'inscrire aussi dans l'histoire, celle de la famille du migrant qui est source
de références et d'explications. Histoire qui peut les concerner eux-mêmes. Une
partie de leur vie s'est déroulée hors de France avec leurs parents, l'étranger faisant partie de leur propre expérience : « Ma femme est nomade de naissance car
elle a vécu avec ses parents dans plusieurs pays. Ce n'est pas mon cas mais l'étranger faisait partie de mon univers car j'étais grand reporter » (Emmanuel). Il vit à
New York depuis douze ans.
« J'ai vécu une partie de son enfance au Japon où mes parents étaient
expatriés, envoyés par leurs entreprises françaises. Je vivais dans un milieu où
il y avait beaucoup d'expatriés, j'étais donc familier de cette situation et, de
plus, habitué aux différences culturelles. J'ai eu à mon tour envie de partir à
l'étranger » (A. Peyrache). Parti faire un « post doc » à New York il y vit
depuis cinq ans.
Cette familiarité liée à l'enfance, même si elle a été brève, peut laisser une
marque donnant l'envie d'inscrire sa vie professionnelle dans le même contexte :
15. H. Bhabha, 2007, p. 14.

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