Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 37 - Le Pouvoir Royal (1814-1848) - 20

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LE POUVOIR ROYAL (1814-1848)

réalité, en 1814, aucune des deux légitimités en présence, l'une révolutionnaire,
l'autre monarchique, n'est en position d'imposer ses vues à l'autre camp35. Une
solution de compromis était devenue inévitable afin de pérenniser la Restauration
française36, sauf à tromper l'autre sur la réalité sociale et politique de l'époque.
Ainsi s'explique la célérité du Sénat impérial dans l'élaboration d'une constitution. La constitution sénatoriale faillit obtenir l'approbation de Louis XVIII,
désireux de satisfaire les attentes de la population ; elle fut pourtant repoussée, le
roi ayant été informé in extremis du climat politique moins défavorable à sa cause
que celui qu'il avait initialement escompté.
13.  De même, certains oublis ou imprécisions de la Charte, loin d'être le fruit
du hasard ou de la précipitation, paraissent volontaires, afin de ne pas alerter le
camp révolutionnaire. En dépit des efforts répétés des Cassandre inutiles tel
-Chateaubriand37, la stratégie bien connue de ces Sinon politiques38 fragilisait aux
yeux de tous la pérennité du compromis. Le but final n'était-il pas d'en tirer profit
afin de « vampiriser »39 la faction ennemie et ainsi être en mesure de gouverner
seul selon la pureté de son principe, qu'il soit monarchique ou démocratique ?40
Il suffisait dès lors de savoir attendre le bon moment, de sacrifier le présent tout
en maintenant les éléments aptes à préparer la reconquête du pouvoir dans un
avenir plus ou moins lointain comme le préconisait Maistre : « Les Souverains
ont plus d'affaires avec l'avenir qu'avec le présent, ils doivent donc sacrifier celuici à celui-là. Louis XVIII sait qu'il est garrotté [...]. La fameuse Charte est bien
plus l'ouvrage d'Alexandre Ier que le sien. Il lui a été signifié bien clairement qu'il
eût à s'y tenir. Que peut-il faire ? Les Français qui oublient l'éclat de la France
s'exposent à la perdre ; mais il viendra un moment (dont la date seule est douteuse) qui changera tout en un instant »41.
35. Pour Guizot, l'ancienne France était néanmoins vaincue. La Charte consacre l'alliance du
trône et de la nouvelle France, le roi se plaçant à la tête des « conquérants nouveaux » pour protéger
« les conquêtes de la révolution ». Du gouvernement, p.  3. Passage similaire dans ses Mémoires, I,
p. 296-297. 
36. Compromis inévitable afin d'échapper au destin de la restauration anglaise, avec qui la
comparaison était habituelle. Celle-ci, faute de s'être conformée aux mœurs anglaises du XVIIe siècle
en tentant de rétablir l'ordre ancien, dut périr sans gloire lors de la Glorious revolution. Le compromis
est donc indispensable dans la perspective des défenseurs de la conformité de la constitution aux
mœurs nationales, suivant ici la leçon de Montesquieu : J.-M. Duvergier de Hauranne, De l'ordre, I,
p. 14-15. 
37. Qui, en compagnie des doctrinaires comme Rémusat (Mémoires [manuscrit], livre XXVI,
cahier 15, p. 61) ou ici le député Jean-Marie Duvergier de Hauranne, père de Prosper, alimentait l'idée
d'un ordre social nouveau qui ne serait ni de droite ni de gauche : « Les uns et les autres se trompaient :
la Restauration n'est ni la contre-révolution ni la révolution ; c'est un ordre social nouveau dont
l'auguste auteur de la Charte est le fondateur, et dans lequel il se trouve un heureux mélange des
institutions et des principes anciens, et des institutions et des principes modernes ». J.-M. Duvergier
de Hauranne, De l'ordre, I, p. 21. Dans la pensée doctrinaire, la fin des partis opposés devait permettre
la naissance de la France nouvelle.
38. Expression de l'académicien libéral P.-F. Tissot (MF, V, 1819, p. 221), en référence à l'Iliade :
Sinon, faisant preuve de duplicité, acheva de convaincre les Troyens d'accueillir le cheval dans la cité.
39. Les ultras mettent en garde le roi contre les « vampires de la royauté » : T.B., « Sur les choses
du moment », in LD, II, p. 74.
40. J. de Maistre, Considérations, p. 143 en notes.
41. Lettre au comte de Vallaise, 28/11/1816, in J. de Maistre, OC, XIII, p. 465. L'occasion de dire,
avec Horace (Épîtres, I, 1, vers 12), condo et compono quae mox depromere possim. Montesquiou et
Ferrand pensent de même à en croire les Mémoires du chancelier Pasquier, II, p. 416. Cette analyse
perdure sous Juillet, sous la plume de Saint-Roman : 1re lettre (16/12/1834), in Lettres sur la patrie,
p. 14-15.

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