Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 37 - Le Pouvoir Royal (1814-1848) - 533

Le crépuscule des Rois ou le pouvoir éducateur sacrifié

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qui détruit tout, et auquel on veut résister en vain. Cette mort, qui s'opère chaque
jour graduellement, sera évidemment prochaine, si l'on en juge par l'état du
malade, les remèdes contraires à son mal, dont il fait usage, et le climat qui lui est
désormais pernicieux. [...] Quand la poire est mûre, elle tombe d'elle-même »179.
Si cette dernière métaphore ne s'adresse nullement à Louis-Philippe, habituellement caricaturé de la sorte, de telles prophéties sont néanmoins récurrentes sous
son règne180. Il en avait d'ailleurs conscience. Simon Bérard rapporte ainsi ce
curieux entretien avec le duc d'Orléans, peu de temps avant qu'il ne devienne roi :
« Nous parlons de l'esprit républicain qui nous inquiète, et contre lequel nous
cherchons à nous prémunir, et j'ajoute qu'il ne faut cependant pas se faire illusion, que la tendance générale des esprits les porte vers les idées républicaines, et
que, dans quelques générations peut-être, il n'y aura plus de rois. « Cela n'est pas
impossible, me dit le duc d'Orléans, mais d'ici là, faisons ce qu'il faut pour en
avoir de bons [...] » »181.
1154.  Dans les esprits de la période 1814-1848, la monarchie constitutionnelle représentait habituellement une forme mixte de gouvernement, une « démocratie limitée par la royauté »182, prélude à une transition douce : « Attaché à
l'ordre monarchique par raison [...] je regarde la monarchie constitutionnelle
comme le meilleur gouvernement possible à cette époque de la société. Mais si
l'on veut tout réduire aux intérêts personnels, si l'on suppose que pour moi-même
je croirais avoir tout à craindre dans un état républicain, on est dans l'erreur. [...]
de compte fait, je serais sans frayeur des républiques, comme sans antipathie
contre leur liberté : je ne suis pas Roi ; je n'attends point de couronne ; ce n'est pas
ma cause que je plaide »183.
1155.  Ainsi, comme nombre de ses contemporains, Chateaubriand exprimait une vision relative des régimes politiques, aux antipodes des discussions sur
le régime idéal ; sa défense de la monarchie se voulait moins passionnelle que
raisonnée en s'inscrivant dans un cadre évolutif : ce modèle lui semblait simplement le plus conforme aux mœurs de son époque. Rien ne s'opposait toutefois à
l'évolution de la société et à la destinée de son gouvernement. L'avenir du pouvoir royal semblait donc lié à la conjoncture, elle qui fut marquée par la révolution de Juillet. Repoussant tout autant les réflexions amères des légitimistes aux
théories du pouvoir royal considérablement appauvries184, que la thèse du
179. Civique de Gastine, De la liberté, p. 33-34.
180. En 1844, le baron d'Haussez écrivait ainsi : « « Les rois s'en vont » a dit un homme d'État
célèbre [...] et la royauté aussi ; car à l'usurpation des princes qui s'emparent des trônes, succédera
bientôt l'usurpation des peuples qui chasseront les rois ». Études morales et politiques, p. 265.
181. S.  Bérard, Souvenirs, p. 145.
182. Nous trouvons l'expression chez Édouard Alletz, De la démocratie nouvelle, I, p.  270.
Encore faut-il s'entendre sur les mots : la démocratie nouvelle qu'il défend est celle des classes
moyennes, non celle des masses (ochlocratie).
183. Fr.-R. de Chateaubriand, Mémoires, XXVI, 12 (I, p.  1818). Reprise d'un article du
24/10/1825.
184. Mais qui reflètent cependant l'évolution moderne du problème qui conduit, comme le
souligna Berryer, du roi législateur au roi arbitre des intérêts, puis au roi chef de l'exécutif : « Les
devoirs de la royauté, Messieurs, changent aussi avec les temps. Au commencement des sociétés, la
royauté est seule législatrice ; elle a pour devoir d'aider, d'éclairer, de conduire, d'administrer le
peuple ; bientôt, lorsque ses bienfaits se sont étendus [...], alors, dans l'intérêt général, les devoirs de
la royauté changent : elle devient arbitre suprême, un justicier impartial entre les intérêts qui s'agitent
et les passions qui sont aussi des intérêts ; elle est enfin le pouvoir auquel demeure la force pour faire
exécuter les lois de la société ». AP, LXX, 5/10/1831, p. 377.

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