Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 122

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

peuvent être comparées aux lettres de marque, telles qu'elles se pratiquaient en
France au Moyen Âge, dans la mesure où elles font peser une responsabilité collective sur l'ensemble du corps de la nation pour la faute d'un seul de ses membres93.
Elles s'accompagnent aussi souvent de procédés vexatoires, tel l'emprisonnement
arbitraire d'un ou de plusieurs ressortissants français d'une échelle94.
222.  Cette forme de responsabilité collective est pourtant interdite par les
sultans, dès le khatt-i sherif de 1528 qui confirmait et étendait les anciens privilèges des Français en Égypte95. À partir de 1569, les capitulations de Sélim II et les
renouvellements successifs reprennent cette prohibition :
Au cas que aucun des dicts François se trouve débiteur, ou en quelque
autre sorte feust coupable et s'enfuist, a esté accordé que la debte sera demandée au propre débiteur et que nul autre sera prins, ne demandé pour luy, ne
pour le délinquant, prins autre innocent96.
223.  Les gouverneurs locaux imposent toutefois, sous divers motifs, de très
fréquentes avanies à la nation française, en contravention avec le droit capitulaire,
afin d'en tirer une source de revenus97. Malgré les plaintes contre ces pratiques, formulées systématiquement à la Porte par les ambassadeurs, rares sont les demandes
en réparation qui aboutissent98. En pratique, les assemblées du corps de la nation
opèrent d'abord une distinction entre avanies personnelles et avanies collectives (1).
Cette distinction est ensuite abandonnée par un arrêt du Conseil du roi de 1776 (2).
1.	 La distinction entre avanies personnelles et avanies collectives
224.  L'assemblée du corps de la nation procède à un examen des faits pour
déterminer qui doit supporter l'avanie99. Si elle résulte du fait d'un membre de la
l'insolence d'un peuple séditieux. Dans la capitale, les gens de mer et les janissaires avinés sont
dangereux. Dans les échelles, ils ne sont pas mieux à craindre. On y gémit dans celles-cy sous la
tirannie d'un pacha avide et cruel, on y trouve un douannier intéressé et de mauvaise foy, souvent des
ennemis secrets que la concurrence ou d'autres motifs excitent à provoquer les avanies et à nuire à la
nation françoise » (Marseille, ACCIM, J 1560, fol. 1).
93. Sur les lettres de marque, voir R.  de Mas-Latrie, « Du droit de marque ou droit de
représailles au Moyen Âge », Bibliothèque de l'école des chartes, t. 27, 1866, p. 529-577 ; P.‑C. Timbal,
« Les lettres de marque dans le droit de la France médiévale », Recueil de la Société Jean Bodin, t. 10,
1958, p. 110-138 ; M.-C. Chavarot, « La pratique des lettres de marque d'après les arrêts du Parlement
(XIIIe-début XVe siècle) », Bibliothèque de l'école des chartes, t. 149/1, 1991, p. 51-89.
94. R. Paris, Histoire du commerce de Marseille..., op. cit., p. 306.
95. Khatt-i sherif de Soliman, 21 septembre 1528 : « Qu'il ne soit [...] demandé au père pour le
filz, ne au filz pour le père, ne au frère pour le frère, pourveu qu'il ne soit son pleige ou respondent ; et
ne soit demandé à aulcun, sinon pour soy-mesme » (éd. cit., p. 351).
96. Capitulations de Sélim II, 18 octobre 1569, art. 4 (éd. cit., p. 369). Par la suite, cette disposition
est renouvelée dans toutes les capitulations postérieures : Capitulations de Mourad III, 15 juillet 1581
(éd. cit., p. 387) ; Capitulations de Mehmed III, 25 février 1597 (éd. cit., p. 406) ; Capitulations d'Ahmed
Ier, 20 mai 1604, art. 41 (éd. cit., p. 426) ; Capitulations de Mehmed IV, 5 juin 1673 (éd. cit., p. 466) ;
Capitulations de Mahmud Ier, 30 mai 1740, art. 53 (éd. cit., p. 502).
97. Mémoire présenté à Louis XIV par le chevalier d'Arvieux, 20 janvier 1670 (éd. I. de Testa,
Recueil des traités de la porte ottomane..., op. cit., t. II, p. 157).
98. Sur ce point, voir particulièrement le mémoire intitulé De l'inutilité de recourir à la Porte pour
des restitutions d'argent, 1718 (Paris, AN, AE, BIII 236, pièce 48, fol. 1v-2). Il faut néanmoins nuancer
les propos catégoriques de cet auteur, car dans les cas les plus graves, les ambassadeurs obtiennent
parfois réparation. Voir, par exemple, le mémoire sur les Moyens pour supprimer les avanies qui se font
dans les échelles du Levant, s. d. (Paris, AN, AE, BIII 234, pièce 37, fol. 1v).
99. Procès-verbal de l'assemblée de la nation à La Canée, 16 novembre 1732 : « Surquoy, d'une
commune oppinion, il a été délibéré que la nation n'a rien à voir à cette avanie et qu'absolument elle
n'en doit pas supportez les fraix » (Nantes, CADN, 328 PO, série 1, 191).

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