Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 177

Le développement de l'institution consulaire

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et ordonna qu'il demeurat au gibet avec son bonnet de velours rouge qui étoit,
pour lors, la marque à laquelle on distinguoit les interprètes. M. de M
- archeville
se plaignit inutilement de cette violence, les Turcs se contentant de lui répondre
que l'interprète étant sujet du grand seigneur, il étoit le maître de le punir sans
aucun égard pour ceux qu'il lui permettoit de servir185.
331.  Pour remédier à ces abus récurrents, un arrêt du Conseil de commerce
du 18 novembre 1669 interdit aux non-régnicoles d'exercer aucune fonction d'interprète. Les drogmans sont désormais nommés par l'assemblée du corps de la
nation, en présence du consul qui recueille leur serment186. Ce texte ordonne par
ailleurs que six jeunes garçons volontaires, âgés de neuf à dix ans, soient envoyés
tous les trois ans, aux frais de la Chambre de commerce de Marseille, dans les
couvents capucins de Constantinople et Smyrne187. Ces « jeunes de langue » sont
non seulement formés aux dialectes orientaux et à la profession de traducteur,
mais également aux mœurs locales, à la rhétorique, à l'éloquence, à la diplomatie
et à la politique188. Après un enseignement théorique de trois ans, ils parachèvent
leur formation en assistant un drogman professionnel dans les échelles. Cette
réforme, menée par Colbert, s'inspire notamment de l'institution vénitienne de la
Scuola dei giovani di lingua qui envoie depuis 1557 de jeunes Vénitiens dans
l'-Empire ottoman pour les former au turc et à l'arabe, afin qu'ils servent par la
suite de traducteurs189. Pour former rapidement une première génération d'interprètes français, un second arrêt du 31  octobre 1670 prévoit l'envoi le dix-huit
« jeunes de langue » lors des trois premières années190.
332.  S'inspirant de la Levant Company anglaise qui recrute de jeunes Grecs
dans le Levant pour les envoyer étudier l'anglais à l'université d'Oxford191,
185. Mémoire historique sur l'ambassade de France à Constantinople, [1718] (éd. C. Schefer, Mémoire
historique..., op.  cit., p.  13). De telles brimades sont encores évoquées dans le Mémoire concernant les
affaires du Levant et de Barbarie, s. d. (Paris, AN, AE, BIII 236, pièce 28, fol. 7). À propos du tumultueux
voyage de l'ambassadeur Henri de Gournay de Marcheville, voir I. Apostolou, « Le voyage du comte de
Marcheville de Marseille à Constantinople : tradition et nouveauté », Voyages, rencontres, échanges au
XVIIe siècle : Marseille carrefour. 43e colloque de la NASSCFL (Aix-Marseille Université, 5-8 juin 2013),
éd. S. Requemora-Gros, Tübingen, Narr-Francke-Attempto, 2017, p. 127-140.
186. Arrest portant deffenses aux drogmans et interprètes des eschelles de Levant de s'immisser en
la fonction de leurs charges s'ils ne sont françois de nation, 18  novembre  1669 (Paris, AN, G7 1684,
pièce 20, fol. 1).
187. Arrest portant deffenses aux drogmans et interprètes des eschelles de Levant de s'immisser en
la fonction de leurs charges s'ils ne sont françois de nation, 18  novembre  1669 (Paris, AN, G7 1684,
pièce  20, fol.  1v). F.  Hitzel, « L'école de jeunes de langues d'Istanbul », Langues et langages du
commerce en Méditerranée et en Europe à l'époque moderne, éd.  G.  Buti, M.  Janin-Thivos et
O. Raveux, Aix-en-Provence, PUP, 2013, p. 23-32.
188. Mémoire sur le commerce et les consulats du Levant, 16 mars 1748 (Paris, AN, AE, BIII 238,
pièce 6). A. Pippidi, « Drogmans et enfants de langue : la France de Constantinople au XVIIe siècle »,
Istanbul et les langues orientales. Actes du colloque organisé par l'IFEA et l'INALCO à l'occasion du
bicentenaire de l'École des Langues Orientales (Istanbul, 29-31  mai 1995), éd.  F.  Hitzel, Paris,
L'Harmattan, 1997, p. 131-140.
189. R.  Mantran, « Le drogman, instrument de la connaissance de l'Orient musulman »,
Méditerranée, mer ouverte..., op.  cit., t.  I, p.  421-422 ; C.  Villain-Gandossi, « Giovani di lingua,
drogmans auprès du baile de Venise et la Porte ottomane au XVIe siècle », Langues et langages du
commerce en Méditerranée..., op. cit., p. 33-56.
190. Arrest portant qu'il sera envoyé pendant trois années et par chacune d'icelles six jeunes garçons
dans les eschelles de Constantinople et de Smyrne pour y être instruits dans la connaissance des langues
de Levant, 31 octobre 1670 (Paris, AN, G7 1684, pièce 23).
191. F.  M.  Göçek, East encounters West.  France and the Ottoman Empire in the Eighteenth
Century, New-York, Oxford University Press, 1987, p. 100-102.

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