Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 249

CONCLUSION GÉNÉRALE

J'ai été trompé longtemps au commerce que les Provençaux font en
Levant. J'estimais avec beaucoup d'autres qu'il était préjudiciable à l'État,
fondé sur l'opinion commune qu'il épuisait l'argent du royaume pour ne rapporter que des marchandises non nécessaires, mais seulement utiles au luxe
de notre nation. Mais après avoir pris une exacte connaissance de ce trafic
condamné de la voix publique, j'ai changé d'avis sur de si solides fondements
que quiconque les connaîtra croira certainement que je l'ai fait avec raison1.
469.  Ces propos tenus par le cardinal de Richelieu dans son Testament politique soulignent toute l'ambivalence du discours entourant le commerce auquel se
livrent les négociants français établis dans les échelles. Vertement critiqués par les
grands administrateurs du royaume pour leur individualisme et leur absence de
considération des intérêts de l'État2, ces simples commerçants ont pourtant su développer les fondements juridiques stables d'un commerce de grande envergure.
470.  De nombreux marchands provençaux s'installent en effet dans le
Levant et en Barbarie à partir du xvie siècle, après l'octroi unilatéral des capitulations par les sultans turcs. Le droit capitulaire se limite toutefois à garantir la libre
circulation des personnes et des biens sur le territoire turc, sans prévoir l'organisation matérielle des activités économiques qui sont dès lors livrées à l'empire de
la pratique. L'ensemble de ce commerce complexe repose en effet sur une figure
juridique simple, issue des usages commerciaux : le contrat de commission. Les
grands négociants marseillais établissent ainsi des commissionnaires dans les
principales places commerciales du Proche-Orient et d'Afrique du nord, afin d'y
mener leurs affaires. Dans les échelles, ces commissionnaires s'organisent au sein
de corps -  les corps de la nation  - où ils se réunissent en assemblée afin d'élaborer des politiques commerciales communes. Ils y élisent notamment des députés
chargés de représenter leurs intérêts, votent des levées de subsides pour répondre
aux avanies imposées par les autorités turques et forment des ententes sur les prix
de vente et d'achat de certaines marchandises.
471.  Cette organisation empirique cède néanmoins progressivement sous les
coups de boutoir de la législation royale qui impose une direction croissante de
1. A.-J.  du Plessis de Richelieu, Testament politique (éd.  A.  Teyssier, Paris, Perrin, 2011,
p. 297-298).
2. A.-J.  Durant de Lironcourt, Mémoire général sur le commerce des François au Levant,
[1749] : « Les négocians de Marseille attachent à cette expression " bien général " un sens qui est chez
eux la source de beaucoup d'erreurs. Ils entendent par " bien général du commerce " le bien du plus
grand nombre de négocians de Marseille [...]. Ils ignorent, ou veulent ignorer, que le gouvernement ne
l'entend, ni ne le peut entendre, ainsy et qu'il n'admet de bien général que le bien effectif de tout
l'État » (Paris, BNF, ms.  fr., 11 790, p.  425-426) ; Rapport fait au Bureau du commerce par M. de
Montaran, 1753 : « Le commerce doit avoir pour objet le bien de l'État encore plus que l'intérest des
particuliers qui s'y livrent » (Paris, AN, AE, BIII 190, p. 4).

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