Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 36

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

spéciales qui renforcent les dispositions des capitulations. Elles sont notamment
relatives à la libération des captifs, à la restitution des prises et à la protection du
statut des personnes et du commerce72.
38.  La force obligatoire de ces traités est néanmoins toute relative et, de
facto, dépend essentiellement de la conjoncture et du rapport de force entre la
France et les régences73. Le chevalier d'Arvieux est ainsi envoyé en 1665 en Barbarie pour superviser l'exécution d'un traité de paix conclu entre la France et la
régence qui prévoit, outre la cessation des hostilités en mer, la remise en liberté de
tous les esclaves français présents à Tunis. Rompu aux subtilités de la diplomatie
orientale, il constate dès son arrivée que l'exécution du traité est compromise. Le
récent assassinat du précédent dey, les intrigues des grands propriétaires d'esclaves, l'opposition de la milice locale à leur restitution et les dissensions au sein
de la délégation française font échouer les négociations pendant plusieurs
semaines. Ce n'est qu'au prix de nombreux cadeaux et de menaces qu'il finit enfin
par obtenir son exécution74. Les traités ne sont d'ailleurs pas mieux respectés par
les autorités françaises qui ne délivrent souvent qu'au compte-goutte les sujets
des régences servant sur les galères75 et tolèrent implicitement la participation de
ses sujets à la course76.
39.  Au xviie siècle, cette inexécution répétée des traités conduit à d'importantes tensions diplomatiques et au recours croissant à la force dans les relations
entre la France et les régences barbaresques. En 1620, après la conclusion à Marseille d'un traité de paix avec Alger, les plénipotentiaires de la régence et leur suite
sont par exemple lynchés par la foule après qu'une rumeur concernant la prise
d'un navire français par des corsaires algériens s'est répandue dans la ville77.
À partir des années 1680, la France entame même une véritable politique de la
canonnière sur les côtes d'Afrique du nord78. Selon les mots de Colbert, « le roy
veut faire une telle guerre de tous costés aux corsaires d'Alger, dans le cours de
l'année prochaine, qu'ils soyent obligés de redemander la paix aux conditions que
sa majesté voudra leur imposer »79. En 1681, l'escadre d'Abraham Duquesne
détruit ainsi des navires tripolitains en pleine rade de Chios80. Entre 1682 et 1688,
72. Cf. infra, n° 126-136.
73. Sur le respect et l'interprétation des traités, voir en premier lieu G. Calafat, « Les interprètes
de la diplomatie en Méditerranée. Traiter à Alger (1670-1680) », Les musulmans dans l'histoire de
l'Europe, éd. J. Dakhlia et W. Kaiser, Paris, Albin Michel, 2013, t. II, p. 389 et s. Sur les négociations
menées par Sanson de Napollon pour l'exécution du traité de 1628 avec Alger, voir également
J. Ferrier, « Les relations pacifiques de la France et de l'Algérie. " Un certain Sanson Napollon " à
travers la correspondance de Peiresc », Guerre et commerce en Méditerranée IXe-XXe siècles,
éd. M. Vergé-Franceschi, Paris, Veyrier, 1991, p. 201-215.
74. À propos de ces négociations, voir L. d'Arvieux, Mémoires (éd. cit., t. III, p. 398-445).
75. G. Poumarède, « La France et les Barbaresques : police des mers et relations internationales
en Méditerranée (XVIe-XVIIe siècles) », Revue d'histoire maritime, t. 4, 2005, p. 134.
76. G. Poumarède, Pour en finir avec la croisade..., op. cit., p. 486-498.
77. H.-D.  de  Grammont, Histoire du massacre des Turcs à Marseille en 1620, Paris, Honoré
Champion, 1879 ; R.  Pillorget, « Un incident diplomatique franco-turc sous Louis XIII. Le
massacre d'une ambassade de la régence d'Alger (14  mars  1620) », Revue d'histoire diplomatique,
t. 88/1, 1974, p. 1-15.
78. G. Poumarède, « La France et les Barbaresques... », loc. cit., p. 137-146.
79. Lettre de Colbert à Vauvré, intendant de la marine à Toulon, 24 novembre 1681 (éd. P. Clément,
Lettres, instructions et mémoires de Colbert, op. cit., t. III, p. 214).
80. Au sujet de ce personnage, voir A. Jal, Abraham Du Quesne et la marine de son temps, Paris,
Plon, 1873 ; M.  Vergé-Franceschi, Abraham Duquesne : huguenot et marin du Roi-Soleil, Paris,
France-Empire, 1992.

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