Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 38 - Les échelles du Levant et de Barbarie - 82

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LES ÉCHELLES DU LEVANT ET DE BARBARIE

et intérêts pour le préjudice causé et la révocation des gouverneurs impliqués dans
la course164. Une simple plainte officielle du roi de France suffit, en principe, à
constituer une preuve pleine et entière de l'acte de piraterie. Cette disposition,
apparemment très favorable aux Français, ne semble cependant être que la résultante de l'irrecevabilité en justice du témoignage d'un Chrétien contre un -Musulman
prescrite par le droit musulman qui rendait impossible toute action en justice
contre les corsaires165. Incapable d'enrayer le phénomène dans ses États les plus
lointains, le sultan autorise même en 1604 les bâtiments français à courir contre les
corsaires ottomans, en représailles de leurs attaques166. Un ultime complément au
dispositif visant à prévenir et à punir les actes de piraterie est ajouté par l'article 81
des capitulations de 1740 qui étend le régime applicable en mer aux vexations
subies à terre par les Français établis dans les ports ottomans où mouillent certains
navires turcs armés en course167. De telles offenses paraissent d'ailleurs assez fréquentes, ainsi que le relate le chevalier d'Arvieux à propos de Smyrne :
On voit assez souvent à Smirne des vaisseaux de Barbarie qui sont en
guerre et en marchandise. Ces gens accoutumez à ne voir d'autres Chrétiens
que leurs esclaves, s'imaginent qu'ils peuvent agir avec les Chrétiens qui commercent dans les États du grand seigneur, avec autant d'impudence qu'ils
font chez eux. Il est vrai qu'il n'y a que les yvrognes qui en usent ainsi, mais
comme le vin et l'eau-de-vie sont à grand marché à Smirne, ils en prennent
plus qu'ils n'en peuvent porter et font mille insolences. Quand ils sont dans
cet état, ils se mettent en troupe et courent les rues avec leurs grands couteaux à la main, criant comme des désespérez, frappant à outrance tous ceux
qu'ils rencontrent, de sorte que les marchands sont souvent obligez de fermer leurs boutiques. Quand ils ne trouvent personne, ils frappent aux portes.
Il ne fait pas bon se trouver sur leur route168.
134.  La prohibition de la course est par ailleurs réaffirmée par les traités
séparés conclus entre les régences barbaresques et la France. Ils défendent aux
164. Capitulations de Mehmed III, 25 février 1597 (éd. cit., p. 403-404). Ce dispositif est lui aussi
renouvelé par les Capitulations d'Ahmed Ier, 20 mai 1604, art. 23 (éd. cit., p. 422) ; Capitulations de
Mehmed IV, 5 juin 1673 (éd. cit., p. 463) ; Capitulations de Mahmud Ier, 30 mai 1740, art. 11 (éd. cit.,
p. 484-485).
165. Voir le mémoire de François Savary de Brèves, ambassadeur à Constantinople, intitulé
Notes sur quelques articles du précédent traicté, 1604 : « Parce qu'après qu'iceux corsaires ont volé les
sujects de la France ; comme l'ambassadeur du roy en faict des plainctes et en demande raison, l'on le
renvoye à la justice, laquelle ne peut condamner les malfaicteurs s'il n'y a des preuves très-fortes, le
témoignage des Chrestiens n'est pas valable contre les Mahometans, qui ne se veulent accuser les uns
les autres ; ainsi l'on ne peut avoir raison du mal-faict. Pour à quoi remédier, j'ai faict insérer dans la
dicte capitulation [...] que les plainctes qui seront faittes au nom du roy, authorisées de ses lettres
royales, suffiront et y sera adjousté foy ; et que les viceroys des lieux d'où les corsaires seront partis
demeureront responsables en leur propre et privé noms de tous les dommages et privez de leurs
charges, pour servir d'exemple aux désobéissans » (éd. F.‑E. de Saint-Priest, Mémoires sur l'ambassade
de France en Turquie..., op. cit., p. 436-437). Sur cette irrecevabilité, voir L. Milliot et F.-P. Blanc,
Introduction à l'étude du droit musulman, op.  cit., p.  566 ; F.  Apellániz, «  " You cannot produce a
Muslim witness "  : Early Ottoman Attitudes Towards Proof and Religious Difference », Quaderni
Storici, 2016/3, p. 1-11 ; Id., « Judging the Franks : Proof, Justice, and Diversity in the Late Medieval
Alexandria and Damascus », Comparative Studies in Society and History, 2016, p. 1-29.
166. Capitulations d'Ahmed Ier, 20 mai 1604, art. 24 (éd. cit., p. 422-423) ; renouvelé ensuite par
les Capitulations de Mehmed IV, 5 juin 1673 (éd. cit., p. 463) ; Capitulations de Mahmud Ier, 30 mai 1740,
art. 11 (éd. cit., p. 484-485).
167. Capitulations de Mahmud Ier, 30 mai 1740, art. 81 (éd. cit., p. 518-519).
168. L. d'Arvieux, Mémoires (éd. cit., t. I, p. 117-118).

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