Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 112

LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

§ 1. UNE INFORMATION PUBLIQUE
118. Les futurs associés ont en commun le souci d'inscrire leur société dans
la durée afin de réaliser leur projet. L'ordonnance du commerce de 1673 leur
demande d'ailleurs de mentionner la durée qu'ils ont prévue pour exercer leurs
activités56. À propos des éléments appelés à être connus du public, il est précisé
dans l'article 3 du Titre IV de cette ordonnance, qu'il doit être mentionné : « [...]
le temps auquel elle [la société] doit commencer et finir [...] » Cette prescription
n'est pas aussi anodine qu'il puisse paraître. Boutaric en souligne les raisons pratiques : « Il importe enfin que l'on sçache précisément le tems auquel la société
doit commencer & finir ; parce que la société ne seroit point obligée par les actes
qu'auroit signé l'un des associez, quoique du nom social, avant que la société eût
commencé, ou après qu'elle auroit pris fin57. » En d'autres termes, la durée n'a
d'intérêt pour les tiers que si elle annonce un début ou une fin et donc la validité
ou non des engagements pris par les associés au nom de la société. Annoncer la
fin signifie que celle-ci n'échappe pas à un certain formalisme ainsi que le précise
l'ordonnance du commerce dans le même article 3 du titre IV : « [...] et ne sera
réputée continuée, s'il n'y en a un acte écrit, pareillement enregistré et affiché. »
Savary souligne à cet égard que la tacite reconduction n'est plus admise58.
119. Il restait à savoir si le temps qui s'écoule entre le commencement et la
fin de la société ne pouvait pas avoir une signification propre pour les tiers. Plus
la durée annoncée serait longue, plus il pourrait être considéré que l'engagement
n'a pas été pris à la légère et traduirait le sérieux de ceux qui l'ont souscrit. Un
trait caractéristique des sociétés en nom collectif s'y retrouverait. Une durée
courte serait en revanche réservée à des associations sans lendemain qui n'auraient de société que le nom. Si tel était le cas, ce serait un indicateur auquel il
serait hasardeux de se fier. La durée est décidée souvent pour des motifs secondaires et les sociétés qui s'engagent sur les temps les plus longs ne sont pas forcément celles dont la pérennité est la mieux assurée. Ainsi par exemple, une société
créée pour neuf ans fait l'objet d'une procédure de dissolution six mois après son
lancement59. De leur côté, les actes contiennent les formules les plus diverses soit
en fixant un terme précis à la société, soit en laissant sa fin être déterminée par un
événement aléatoire.
56. Là encore, il ne s'agit pas d'une préoccupation nouvelle. J. Toubeau, op cit, t 2, Liv 2, Tit III,
ch 1, p. 88 : « [...] je ne veux pas obmettre de dire que Balde dans fon Conseil 120 & les Docteurs sur
la Loy Socius [...] disent que dans l'acte & Contrat de société, il doit toujours être fait mention du lieu,
& fixé le temps que doit durer la Société ».
57. F. de Boutaric, op cit, commentaires sur le titre IV, art 3, de l'ordonnance du commerce,
p. 28.
58. J. Savary, parère V, op cit, délibération du 3 mai 1679, Charles Dalmas, Dumas, p. 29 : « [...]
étant une chose triviale qu'en ce temps-là, les marchands & négociants qui s'associoient ensemble pour
le commerce pouvoient continuer leur société par tacite reconduction aux clauses & conditions portées
par icelle, sans qu'il fût besoin de les renouveler par aucun acte. Cette jurisprudence consulaire n'a
jamais été révoquée en doute parmi les marchands & les négociants jusques à l'ordonnance du mois de
mars 1673. [...] car il faut observer qu'il étoit de même avant ladite ordonnance d'une société comme
d'un bail d'une maison, le temps duquel étant fini, le locataire continuant à occuper la maison, le bail ne
laisse pas d'avoir lieu & de servir de loi tant au propriétaire qu'au locataire, soit pour le prix, soit pour
les autres charges & conventions portées par icelui, qui est une continuation par tacite reconduction. »
59. Mémoire d'arbitre du 26 juin 1777. Reveillé de Beauregard, Dame Denis. Commerce de
toiles et de dentelles. Société créée le 7 octobre 1776 pour neuf ans et qui fait l'objet d'une demande
de dissolution par un des associés dès le 19 avril 1777. (AP D6B6 11).

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