Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 180

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LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

sociale au lieu d'y faire figurer le sien81. Une action plus critiquable encore donne
à cet abus toute sa dimension. Ainsi, une société est formée à Livourne en 1687
entre Jean-Baptiste Poussin de Marseille et son fils Jérôme sous le nom de Jean
Poussin et Compagnie. Son fils dispose seul de la signature et gère la société.
Jérôme Poussin se retire des affaires à Marseille en 1697 et une nouvelle société est
fondée en 1700 avec de nouveaux associés sans que la raison sociale en soit changée et que les correspondants de la société soient informés de la nouvelle situation82. N'ayant pas dénoncé publiquement qu'il avait quitté la société, Jérôme
Poussin se trouve tenu de continuer à répondre comme garant des faits de la
société83. Celui-ci fait alors valoir un article de l'acte de société par lequel « il s'est
réservé la faculté de renoncer secrètement à la société quand il le jugeait à propos ». Cet article qui viendrait à tromper la bonne foi du public « en le leurrant
d'un fantôme de garantie qu'on fait disparaitre quand on veut » choque les députés du commerce qui manifestent leur indignation sur les abus portés au « nom
social » : « A l'occasion de cette affaire les Députés croyent devoir observer qu'un
nom social accrédité peut donner lieu à de grands abus. Quelquefois les auteurs
d'une société qui s'est acquis du crédit sont morts et le nom social subsiste. Le
public accoutumé à accorder sa confiance à ce nom, et ignorant que ses vrais
auteurs ne sont plus, l'accorde également à ceux qui s'en servent, ou pour mieux
dire la leur continue sans le sçavoir, quoyque souvent leurs facultés soient bien
différentes des moyens de ceux qui s'étoient attiré cette confiance. [...] Ces considérations font penser aux Députés que pour empécher autant qu'il est possible,
des abus si considérables, il conviendrait d'ordonner que ceux qui pour s'attirer
du crédit se serviraient du nom social de personnes qui n'existent plus [...] seroient
de faillite poursuivis comme banqueroutiers frauduleux84. »
189.  Les mauvaises habitudes n'avaient pas pour autant été totalement extirpées
puisque l'on fait allusion encore dans la seconde moitié du siècle à des pratiques qui
viendraient les conforter : « [...] Il est en usage dans le commerce que les raisons de la
société subsistent quoi qu'il y ait des associés de mort ou retirés de la société, cet
exemple est universel et a la connoissance de tout le monde, il est inutile de la citer,
ainsy ce moyen des créanciers tombe de lui-même85. » L'article 21 du Code de commerce de 1807 tentera d'y mettre bon ordre86. Un abus dans l'utilisation des raisons
sociales peut également avoir de lourdes conséquences comme l'illustre l'affaire
81. Mémoire d'arbitre du 13 mai 1782. Leman Delabarre, Jacquet « D'ailleurs, le Sieur Jacquet
qui a continué et signe Jean-Baptiste Jacquet et Compagnie quoique ce fût le prénom de baptême de
son père et non le sien, ce qu'il a fait, dit-il, pour conserver l'ancienne raison ; [...] » (AP D6B6 13).
82. Avis des députés du commerce du 28 mars 1729 sur une « question particulière proposée par
le Sieur Mathieu Lée dans son mémoire joint aux pieces qu'il a envoyées » concernant Jérôme Poussin
et Cie. Extrait de l'avis des députés : « [...] On crût apparemment pouvoir s'en dispenser parce qu'il n'y
eut point de changement au nom social, et sans doute qu'on ne voulût point le changer pour ne point
courir le risque de perdre le crédit qu'il [Jérôme Poussin] s'était acquis [...] » (AN F12 698).
83. id. « [...] Jérôme Poussin n'ayant point informé ses correspondants qu'il n'était plus intéressé
à la Maison de Jean Poussin et Compagnie, qu'il avait lui-même régie pendant plusieurs années, et leur
ayant laissé croire qu'il en était toujours garant, doit être nécessairement tenu d'en répondre [...] »
84. id.
85. Archives de la juridiction consulaire de Paris. Doc n° 5502. s d circa 1775. Chicanneau,
Frometin , Jacquemard. Arguments de Chicanneau contre ses créanciers. (AP D1B6 34).
86. Code de commerce de 1807, à propos de la société en nom collectif, art 21 : « Les noms des
associés peuvent seuls faire partie de la raison sociale. » Le Code pénal de 1810 dans son article 405
fait référence de son côté aux abus causés par l'usurpation de noms : « Quiconque soit en faisant usage
d'un faux nom ou de fausses qualités [...] se sera fait remettre ou délivrer des fonds [...] sera puni d'un
emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus [...] »

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