Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 206

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LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

dénoncer des associés qui essaient de se mettre à couvert14. Il est tellement ancré
dans les esprits que celui qui continue à vivre dans la maison où son commerce
s'exerçait alors qu'il avait mis fin à ses activités se voit exposé à être accusé de
tromperie : « Les créanciers argumentent de ce que le commerce de la société se
faisoit dans la maison du Sr. Chicanneau que lui seul inspiroit la confiance, que
l'on suivoit sa foy, qu'ayant souffert depuis sa retraite que le commerce se fit toujours sous la même raison, il a induit les créanciers dans la plus ferme persuasion
qu'il étoit toujours associé. » Ce à quoi il est répondu : « Il est aisé de voir combien tout ce raisonnement est foible et hazardé, le Sr. Chicanneau a loué une
partie de sa maison au Sr. Fromentin comme il l'auroit loué au premier négociant
qui se seroit présenté, qu'en résulte-t-il ? que les associés avoient leur ménage particulier et le Sr. Chicanneau le sien. Les deux ménages étoient étrangers sous le
même toit15. » Cette situation n'est pas rare. Dans la coutume de Lille, il est d'ailleurs indiqué que la veuve doit quitter la maison où son mari exerçait le -commerce
si elle ne veut pas être considérée comme responsable des dettes de ce dernier16.
Des démentis sont d'ailleurs parfois nécessaires pour dissiper toute confusion17. Il
est donné ainsi à cette cohabitation au sein de la demeure « commune » une
importance dont il semble que l'on ne puisse se distraire. Certains textes le
donnent effectivement à penser. Ainsi, un associé qui n'occupe pas encore la
demeure commune sous le motif qu'il ne souffre pas l'odeur de peinture des murs
alors que ses meubles y sont déjà été installés porte le flanc à la critique18. Plus
grave, car de nature à entraîner la dissolution de la société, est le fait pour l'associée de quitter le logement de son propre chef19. Plus prosaïquement, la cohabitation de tous les instants pouvait devenir insupportable aux associés. Les épouses
en auraient été souvent à l'origine si l'on écoute Savary20. Le mémoire d'un
feroit qu'une bourse avec lui ; j'ai [d'Espeisses] été d'avis que par là il y avoit une société tacite de
l'industrie du fils & des fruits de sa dot, avec l'industrie & les fruits des biens du père, & partant que le
profit devoit être partagé. » Ainsi, la vie commune ayant été constatée, l'existence d'une société en
découle qui a pour effet un juste partage des gains ce qui ne semble pas avoir été toujours le cas.
14. Avis des députés du commerce du 4 avril 1786. Chenal, Roy, Fléchy, Charpy. Commerce de
draperie. Extrait de la présentation des faits : « [...] qu'à cette preuve de société qui est plus que
suffisante, ils sont encore en etat d'administrer celle que les Srs Chenal et Roy vivoient a commun pot
et sel, qu'ils tenoient ensemble les foires et marchés et même séparément tantôt l'un, tantôt l'autre,
[...] » (AN F12 723).
15. Archives de la juridiction consulaire de Paris. Doc n° 5502, s d circa 1775. Chicanneau,
Fromentin. (AP D1B6 34).
16. Avis des députés du commerce du 11 mai 1787. Le Griel, Sartorius. Commerce de banque.
Extrait des moyens des créanciers se référant à la coutume de Lille, ch 2 articles 47, 49 et 50.
(AN F12723).
17. Acte du 5 juillet 1770. Lacombe, Herbert Messageries. Déclaration du Sieur de la Combe
demeurant à Paris dans la maison de la Dame Herbert, sa belle-mère. « Lequel a déclaré et reconnu que
quoiqu'il soit en nom dans les baux des Carrosses et Messageries de Bordeaux [...] la vérité est qu'il n'existe
entre lui sieur de la Combe et ladite Dame Herbert aucune société quelconque qu'il n'a aucune qualité ni
aucun droit dans la régie et administration desdits Carrosses et Messageries [...] » (AP D3B6 71).
18. Mémoire d'arbitre du 15 juin 1778. Debellaire, Baradelle. Objets scientifiques, Debellaire
accuse Baradelle de ne pas avoir respecté l'acte de société qui exigeait qu'il réside dans la " maison
commune " . (AP D6B6 12).
19. , Mémoire d'arbitre du 26 juin 1777, Reveillé de Beauregard, Dame Denis. Commerce de
toiles et de dentelles. « [...] sans remplir aucune formalité elle [la dame Denis] avoit cessé d'habiter la
maison de commerce, il [Beauregard] avoit su regarder cette conduite comme une dissolution de fait »
(AP D6B6 11).
20. J. Savary, op cit, Part 2, Liv 1. ch IV. p 62 : « [...] il est vrai de dire que la plûpart des societez
finissent avant le tems de leur échéance, par le caprice & la mes-intelligence des femmes dont bien
souvent les maris veulent par une sotte complaisance prendre inconsidérément le parti. »

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